Le 20 juillet 2012, Alain Hamel, formateur et administrateur chez Écohabitation, nous envoyait par courriel une photo de sa maison de Lac-Kénogami à Saguenay en flammes! L’incendie venait d’un incident au niveau de l’entrée électrique. La belle bâtisse en bardeaux de cèdre, construite de ses mains en 2007, terminait sa vie en cendres. Épuisé, effondré, il accompagnait sa photo d’un laconique « Je n’ai plus de larmes… » Mais depuis la roulotte, à proximité des ruines, où il s’était réfugié avec son épouse France et son beau-fils, Alain a voulu contrer ce coup du sort. Ceux qui le connaissent n’ignorent pas sa volonté farouche, son obstination de « vieux bouc », comme il dit. Pour édifier son nouveau nid, il a choisi de mobiliser tout son savoir de constructeur chevronné, et de faire appel aux innovations les plus pointues en matière d’énergie.

© Alain Hamel pour Écohabitation
Ruines de la maison après l'incendie © Alain Hamel pour Écohabitation
© Alain Hamel pour Écohabitation
Porte de la roulotte près des ruines © Alain Hamel pour Écohabitation

Un an plus tard, une jolie maison de bois et de briques charcoal, aux traits contemporains, se dresse fièrement sur les rives du lac. La demeure la plus  énergétiquement efficace du Québec (mais oui) est sortie de terre. Depuis ce vendredi 30 août, elle est LEED Platine, avec le plus grand nombre de points jamais obtenus au Canada. Un objectif évident pour le seul constructeur LEED de sa région. Mais pas seulement. Il la rêve Passivhaus (maison passive), le très exigeant label allemand. Puisque la maison Kénogami, bien que située dans la région très… fraîche du Saguenay-Lac-Saint-Jean, est une maison solaire passive – c'est-à-dire super-isolée, super-étanche, conçue et orientée pour être chauffée presqu’uniquement par le soleil. Épaulés par Emmanuel Cosgrove, directeur d’Écohabitation, Denis Boyer, l’ingénieur en énergie et développement durable de l’organisme, et Lucie Langlois, d’Alias Architecture, Alain et France semblent avoir atteint leurs objectifs.

Nos autres raticles sur la maison Kénogami:

Énergie, durabilité, non-toxicité… six points forts à découvrir

Des systèmes énergétiques à la pointe

Une conception solaire passive poussée à son maximum

Une maison presque sans chauffage dans un climat presque subarctique: le défi Passivhaus

© Alain Hamel pour Écohabitation
© Alain Hamel pour Écohabitation

Automne 2012. La réflexion collective s’organise. Le défi est colossal : au Canada, aucune maison de type « solaire passif » (dont le design et l’hyper-isolation permettent de réduire au plus bas la consommation d’énergie) n’a été construite dans un climat aussi froid. Pour obtenir la certification allemande Passivhaus, il faut atteindre la consommation d’énergie maximale de 15 kWh annuels par mètre carré pour le chauffage et la climatisation, quand une maison conventionnelle en consomme 100 ! Ce qui est aisé en Allemagne l’est moins au Saguenay. Pour l’ingénieur d’Écohabitation, Denis Boyer, le plus dur commence. « Faute de station météo à proximité, les données climatiques que nous trouvions semblaient erronées... Notre recherche a duré plusieurs semaines, il nous a fallu croiser et valider toutes les données que nous dénichions.»

S’ensuit alors, pour Alain, Lucie et Écohabitation, la réflexion sur la conception de la maison. « C’était ma première expérience d’une maison réellement susceptible d’être certifiée Passivhaus, témoigne Lucie Langlois. La difficulté était le délai très court : deux mois pour réaliser le design ! Dans cette zone climatique, la barre était très haute. Surtout qu’à l’Institut Passivhaus, ils sont extrêmement exigeants au niveau des plans. On va loin dans le détail. »

À l'étage © Alain Hamel pour Écohabitation
À l'étage © Alain Hamel pour Écohabitation

Simulation énergétique : un travail de moine

La difficulté majeure, c’est que les matériaux et produits canadiens choisis par l’équipe ne sont pas connus de l’Institut Passivhaus, qui ne certifie que des produits européens. Il faut donc, pour Denis Boyer, analyser la performance énergétique de chacun… « Un travail de moine! », sourit-il. Orientation, masse thermique, compacité, épaisseur des murs, nature des isolants, étanchéité, performance des fenêtres… Tout doit être paramétré au plus près, puis faire l’objet d’une simulation énergétique, pour tenter d’obtenir le fameux 15 kWh annuels par mètre carré..Pas facile. Les fenêtres, notamment, vont leur donner du fil à retordre. « Nous voulions acheter des fenêtres fabriquées au Canada, et non celles prescrites par l’Institut Passivhaus et construites en Europe, explique Alain Hamel. Nous les avons commandées à une compagnie ontarienne, mais malgré le triple vitrage, la basse émissivité, le gaz argon et les doubles intercalaires… elles se sont révélées décevantes ! J’ai du les démonter et augmenter leur étanchéité en remplissant leur cadre de polyuréthane. »

LEED et Passivhaus : complémentaires

Fin d’été 2013. La maison est presque achevée. Et le résultat est au-delà des espérances. D’après les tous derniers calculs, elle ne consommera que 13,3 kWh annuels par mètre carré en chauffage et climatisation. La certification Passivhaus est donc envisageable! La certification LEED Platine a été obtenue, et avec un nombre de points record au Canada. La combinaison de ces deux exigences est tout simplement idéale aux yeux d’Alain Hamel : « Passivhaus est essentiellement centré sur les économies d’énergie, quand LEED prend en compte de nombreux aspects environnementaux comme la non-nocivité des matériaux, l’aménagement extérieur, la gestion de l’eau, la réduction des déchets… Pour moi, chaque maison passive devrait également respecter les critères LEED! »

Portrait-robot de la maison Kénogami

 

  • 182 m2 habitables (on ne compte pas les rangements, la cuisine d’été et l’abri d’auto), trois habitants permanents. Deux niveaux.
  • Pièces. Une entrée, une salle à manger, un salon, une cuisine, deux chambres, deux salles de bains, une salle de lavage, une salle mécanique, un vestiaire, une cuisine d’été en « Timberframe », un abri pour les voitures. Et des arbres, des rochers et le lac!
  • Isolation et étanchéité. Le facteur thermique des murs extérieurs (35 cm d’épaisseur) est de R80, R151 pour le toit, R64 pour la dalle de fondation.  Matériaux isolants et étanches utilisés pour les murs, le toit et le sol : cellulose, polyisocyanurate, polyuréthane giclé,  laine de roche, panneaux de copeaux de bois, polystyrène expansé.
  • Matériaux de revêtement : sols en béton poli contenant du verre recyclé, placoplâtre pour les murs, plafonds en mélèze et pin locaux, toit en « Galvalume » (acier blanc), revêtement extérieur en briques de béton Rinox et mélèze local.
  • Fenêtres : triple-vitrages, doubles intercalaires, lames de gaz argon, basse émissivité
  • Énergie et chauffage : conception solaire passive avec mur de briques intérieur stockeur de chaleur + panneaux solaires photovoltaïques pour l’eau et le chauffage, soutenus par une thermopompe, un poêle à bois et une petite chaudière à gaz à condensation. Planchers chauffants.
  • Équipes d’évaluation et de vérification : LEED Habitations et Passive House Institute
  • Pour en savoir (beaucoup) plus, lisez les autres articles sur la maison (voir liens ci-dessus)

Une maison autonome et résiliente : toit blanc, panneaux solaires, autosuffisance en eau…

© Écohabitation
© Écohabitation

La maison Kenogami est LEED Platine, d’accord, Passivhaus, peut-être. Mais c’est le mot « maison résiliente » qui a pris dans l’esprit d’Alain de plus en plus de place (lire notamment son article, « Maison Kenogami : énergie, durabilité, non-toxicité… sept points forts à découvrir »).

La résilience, dans le domaine de l'écologie, c’est quoi? Appliqué à son habitation, le concept revêt deux aspects aux yeux d’Alain. D’abord la résistance aux changements climatiques, illustrée en général par la solidité de l’habitation, et en particulier par le toit en acier blanc qui réfléchit les rayons du soleil, ce qui évite l’émission de chaleur dans l’atmosphère, et une climatisation excessive de la maison. Soit l’exact opposé des toits en bardeaux d’asphalte, noirs et absorbants, qui recouvrent la majorité des bâtiments au Québec! Ensuite, l’autonomie en cas de catastrophe naturelle ou tout simplement de grosse coupure d’électricité. « La maison est reliée aux réseaux d’eau et d’électricité, mais il y a une redondance des équipements qui la rend potentiellement autonome. Ses panneaux photovoltaïques, son poêle à bois et sa thermopompe lui permettent en fait de produire sa propre énergie, dont le chauffage », détaille Alain Hamel. Précisons qu’elle est autonome en eau, grâce au recyclage de l’eau de pluie (douche, toilettes, irrigation du jardin) et au puits artésien (lavabo, évier, lave-vaisselle).

Des panneaux solaires au pays de l’hydroélectricité

Planchers radiants, chaudière à gaz, panneaux solaires, thermopompe… cette abondance d’équipements peut poser question au plan écologique. Notamment du côté des panneaux solaires, que l’on sait polluants à fabriquer, alors que le Québec produit en quantité une électricité propre comparée à celle des centrales nucléaires et à charbon de l’ouest, des États-Unis, ou des cousins européens. « On peut en discuter, commente Alain, mais je préfère mon système à ceux des maisons autonomes habituelles qui nécessitent une génératrice au diesel. Quand à l’énergie solaire, il est bon qu’elle soit développée partout, même au Québec! »

Les bonnes fées de la maison Kenogami

Outre Alain, concepteur et autoconstructeur, l’équipe d’Écohabitation (Emmanuel Cosgrove et Denis Boyer, voir ci-dessus) et l’architecte Lucie Langlois, on compte aussi parmi les supports Patrick Déry, cofondateur du Groupe de recherche écologique de la Baie (GREB), qui a contribué à l’élaboration du système de chauffage de l’eau par le solaire photovoltaïque, l’évaluateur régional Louis Parent (Immotech), et la chaire de recherche TERRE du Cégep (voisin) de Jonquière, qui a contribué à l’élaboration de la maison et qui va observer ses performances pendant quatre saisons. Les stagiaires et jeunes collaborateurs d'Écohabitation (ci-dessus en photo avec Alain) ont aussi contribué à l'élaboration du modèle énergétique !

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Côté compagnies locales, basées à la Baie et Hébertville, Alain Hamel salue notamment l’engagement sans failles de Béton Multisurfaces, qui a réalisé les comptoirs, douches, planchers, seuils chauffants, de Moulures SMDT, fournisseur de pin et mélèze locaux pour les moulures, planchers, poutres et revêtement extérieur, et de l’électricien Pierre Vézina, de la compagnie Réjean-Tremblay.

Une maison expérimentale: chauffage au photovoltaïque, "Remote Wall", potager intérieur...

© Ronan Jouve pour Écohabitation
© La salle de séjour et le potager hydroponique. Alain Hamel pour Écohabitation

Pour les amateurs de performance énergétique, la maison d’Alain Hamel est un Eden. Le principe solaire passif (fenêtres au sud, murs épais, sols et murs qui stockent la chaleur…) est ici accompagné de petites prouesses techniques qui permettent à la maison de produire le peu d’énergie qu’elle consomme. On y trouve notamment des seuils de béton chauffants sous toutes les ouvertures (portes et fenêtres) qui pallient les déperditions de chaleur et la stockent grâce à leur inertie thermique, et surtout, un système ingénieux qui permet aux panneaux photovoltaïques de chauffer l’eau et la maison (d’habitude, c’est le solaire thermique, bien plus cher, qui remplit ce rôle). Sur cet aspect déterminant et pas mal révolutionnaire, nous vous suggérons vivement de lire cet article de notre dossier.  

Autre aspect novateur :  le système « Remote Wall »  a été adopté pour éviter la condensation - et donc les moisissures - à l’intérieur des murs très épais (35 cm!).

Une maison épurée et confortable

© Ronan Jouve pour Écohabitation
© Ronan Jouve pour Écohabitation

Mais ce n’est pas le tout de faire de sa maison l’avant-garde de l’efficacité énergétique. Et l’ambiance dans tout ça? Et le confort? Trois jeunes collaborateurs et stagiaires d’Écohabitation ont effectué cet été un petit voyage d’étude à la maison Kénogami. Ils ont apprécié « la sensation de masse harmonieuse, de calme et de sécurité, l’aspect simple, chaleureux et fonctionnel, et l’absence d’odeur malgré le fait que les matériaux étaient tout neufs. »

Sans compter, évidemment « l’incroyable emplacement, avec un très joli ponton sur le lac! »

Autres points forts de cette maison pleine de surprises : un mur végétal hydroponique en plein milieu de la maison! Poivrons… tomates… coriandre… fraises… persil… basilic… Le potager intérieur, c’est une idée brillante quand on vit dans un climat nordique. Sans oublier l’accessibilité universelle. Il est possible de n’utiliser que le rez-de-chaussée, et les portes ont été conçues pour qu’une chaise roulante puisse circuler d’une pièce à l’autre.

Combien ça coûte?

Certes, la maison Kenogami a coûté… 700 000 $. Ce qui n’est pas rien! Mais c’est une maison expérimentale, volontairement « redondante », avec de nombreux systèmes, ce qui n’est pas obligatoire pour une maison solaire passive. Le chiffre à retenir, aux yeux d’Alain, serait plutôt « +10% ». Ce qui signifie qu’une maison conçue de manière solaire passive (fenestration majoritairement au sud, compacité, matériaux favorisant le stockage de chaleur, isolation et étanchéité record) peut ne coûter que 10% de plus qu’une maison conventionnelle. Incroyable, mais vrai. Nous explorons plus en détail dans un article les différence de coûts d'une construction de maison selon l'efficacité énergétique du bâtiment.

Et pour conclure….

© Écohabitation
La cuisine d'été © Écohabitation

C’est la première fois au Québec, et peut-être au Canada qu’une maison atteint un tel degré de performance énergétique : l’énergie nécessaire à son chauffage lors de la plus froide soirée d'hiver équivaut à celle d’une cafetière électrique qu’on aurait oublié de débrancher et qui ne se mettrait pas en veille. Ou encore à celle dégagée par une vingtaine de personnes rassemblées autour d’une table. « En termes d’efficacité énergétique, tout a été appliqué à la lettre. Cette maison est difficile à battre, c’est le nec plus ultra au plan technique » salue Emmanuel Cosgrove, le directeur d’Écohabitation et conseiller d’Alain Hamel pendant la construction.

Pour l’autoconstructeur, cette maison est aussi l’amorce d’une révolution intérieure. Placée en pleine nature (son « walkscore », c'est-à-dire la possibilité de rejoindre un service à pied, est de zéro!), elle ne constitue pas un idéal écologique; mais Alain a souhaité réduire son empreinte sur l’environnement en construisant un édifice bien plus petit et plus compact que le précédent. Par ailleurs, au plan professionnel, il s’est juré de ne plus jamais participer à la construction d’une maison conventionnelle. « Il faut construire des maisons qui tiennent longtemps debout, pour ne pas dévorer les ressources naturelles. Il faut penser à long terme. »

Quand elle brûle naturellement, la forêt boréale se régénère, se renforce. « Si on file la métaphore, reprend Emmanuel Cosgrove, on pourrait dire que cet incendie, ce tourment d'une famille, auront permis à Alain, mais aussi à toute la gang d'Écohabitation, de participer à la naissance d'une maison hors-normes. Qui pourra servir de référence à toutes les suivantes. »

La maison Kénogami