L'industrie de la construction est l'un des principaux responsables des déchets mondiaux, contribuant à l'épuisement des ressources et aux émissions de gaz à effet de serre. Afin de réduire l'impact environnemental de ces activités, une solution alternative, encore peu répandue, est la déconstruction. Contrairement à la démolition traditionnelle, cette approche permet de diminuer les déchets, de préserver les ressources naturelles et de réduire les émissions de carbone.

Les enjeux des déchets générés par la démolition

Les statistiques sont frappantes : le secteur de la construction est l’une des principales sources de déchets dans le monde et il représente près de la moitié des émissions de GES mondiales. Les matériaux de construction représentent un tiers de la consommation mondiale de ressources.

Au Québec, le secteur de la construction génère trois millions de tonnes de matières résiduelles chaque année et il se positionne quatrième en importance au niveau économique. D’après Circle Economy et RECYC-QUÉBEC, l’environnement bâti est la plus grande catégorie en matière d’utilisation de ressources au Québec.

Démolition avec grue mécanique
Le secteur de la construction est l'une des principales sources de déchets dans le monde!

Chaque tonne de déchets envoyée dans les sites d’enfouissement génère près d'une tonne et demie de gaz à effet de serre! En raison du manque d'oxygène dans ces sites, la décomposition des déchets entraîne la production de méthane, un gaz à un effet de serre environ 40 fois plus puissant que le dioxyde de carbone, contribuant ainsi de manière significative au réchauffement climatique.

La déconstruction comme outil de réduction du carbone

À l’échelle mondiale, les émissions de carbone intrinsèque représentent environ 10 % des émissions de carbone liées à l’énergie (Source : Norme du bâtiment à carbone zéro 2024). Ce carbone inclut les émissions de gaz à effet de serre à chaque étape du cycle de vie d’un produit : fabrication, transport, installation, entretien et élimination des matériaux. Il diffère du carbone opérationnel, qui concerne l’exploitation du bâtiment. Au Québec, sur la durée de vie d’un bâtiment fonctionnant à l’électricité, les émissions de carbone intrinsèque dépasseront celles liées à son exploitation, puisque l’énergie intrinsèque de notre hydro-électricité est très faible.

Le carbone initial, sous-ensemble du carbone intrinsèque, concerne les émissions lors de la production et de la construction d’un bâtiment, avant qu’il ne soit opérationnel. Pour avoir un impact climatique significatif, il est essentiel de revoir la conception des bâtiments afin de réduire les émissions de carbone intrinsèque et initial.

Une méthode pour réduire cette empreinte carbone est de recourir à la déconstruction d’un bâtiment à sa fin de vie, plutôt que d’en faire la démolition. Il est important de bien distinguer la différence entre la démolition de la déconstruction :

  • La démolition a pour but d’éliminer rapidement le bâtiment dans sa totalité, à l’aide de méthodes mécaniques ou explosives. Cette technique génère des quantités énormes de déchets, qui sont difficiles ou impossibles à réutiliser, puisqu’ils sont trop abîmés ou trop entremêlés parmi d’autres matériaux. La démolition traditionnelle génère des émissions des gaz à effet de serre considérables et incite à l’usage unique des matériaux de construction.
     
  • La déconstruction utilise une méthode plus minutieuse, qui consiste à démanteler le bâtiment morceau par morceau, ce qui permet un meilleur tri des matériaux. Elle encourage également une meilleure récupération des matériaux, minimise la production de déchets et favorise la réutilisation des ressources. Ainsi, les matériaux peuvent être réutilisés dans de nouveaux projets de construction. Cette démarche est davantage en harmonie avec les préoccupations environnementales actuelles, notamment en mettant de l’avant le réemploi et la diminution à la source des matériaux.
Bois sur chantier de contruction
La déconstruction consiste à démanteler le bâtiment morceau par morceau.

En choisissant la déconstruction, nous contribuons à réduire l’empreinte carbone de l’industrie de la construction, participant ainsi activement à la lutte contre les changements climatiques. La déconstruction demeure un phénomène naissant au Québec si l’on compare à certaines autres villes d’Amérique du Nord, tels que Vancouver ou les États-Unis. Nous aurions tout intérêt à démocratiser cette pratique au Québec, puisque cela a des gains environnementaux, sociaux et économiques.

Pour en savoir plus sur l'impact carbone des bâtiments et sur le concept de carboneutralité qui y est associé, consultez cet article

Un projet pilote qui s’est avéré fructueux!

Un projet pilote mis en place en 2022 par la Régie intermunicipale de traitement des matières de la Gaspésie (RITMRG) et ses partenaires a pu démontrer des conclusions satisfaisantes quant à la déconstruction menant au réemploi des matériaux. Celle-ci a conclu qu’au lieu de démolir ces bâtiments, il a été préférable de les déconstruire dans le but de réemployer les matériaux. La directrice générale de la régie, Nathalie Drapeau, affirme que « les avantages démontrés et les gains environnementaux, sociaux et économiques constatés soutiennent l’idée que l’approche "démolition" n’a plus sa place ».

Le projet impliquait cinq bâtiments sur deux sites ciblés dans les villes de Chandler et de Grande-Rivière. Plutôt que de recourir à une démolition traditionnelle avec une pelle mécanique, les revêtements extérieurs, les portes et les fenêtres ont d'abord été enlevés. Ensuite, les murs, le toit et le plancher ont été démontés progressivement, puis décomposés en morceaux pour être revendus.

Dans un contexte de surconsommation et de coûts croissants du traitement des matières résiduelles, les dirigeants du projet confirment que le momentum politique pour adopter de meilleures pratiques est favorable. Cette approche a permis de réduire les quantités envoyées à l’écocentre et à l’enfouissement, offrant ainsi un avantage économique pour les municipalités, qui évitent la facture élevée associée au traitement des matières résiduelles. Ces quantités d’ailleurs sont significatives : dans le cas de la RITMRG, cela correspond à 6 000 tonnes de résidus qui vont dans les écocentres et 5 000 tonnes vers l’enfouissement, et ce, annuellement.

Pour les citoyens, les gains sont également positifs : ils ont été nombreux à venir s’approvisionner de matériaux à réutiliser. La directrice a d’ailleurs noté un changement de comportement de l’équipe d’entrepreneur et des gestionnaires municipaux.

Matériaux de construction récupérés
En optant pour la déconstruction, des tonnes de matériaux peuvent être réutilisés dans d'autres projets de construction. 

Les résultats : La plupart des cibles de réemploi des matériaux ont été atteintes, même parfois plus! Au total, près de 145 tonnes de matières ont été dirigées vers le réemploi, soit 70 % du total de matières générées. C’est un détournement vers l’enfouissement significatif, puisque le rapport rédigé par la régie constate que, de manière générale, 95 % des matériaux sont destinés à l’enfouissement à la suite d’une démolition.

Il est souvent évoqué que la déconstruction coûte plus cher que la démolition, qu’elle n’est pas rentable. Même si ce ne sont pas toutes les déconstructions qui sont rentables, cela peut l’être dans plusieurs cas, surtout si la conception a bien été réfléchie en ce sens.

Dans le cadre de ce projet pilote, la déconstruction a nécessité plus de temps qu'une démolition traditionnelle, mais elle a engendré un coût légèrement inférieur. Les économies pour le site de Chandler ont été de 6 172 $ et de 2 496 $ pour le site de Grande-Rivière. Ils ont donc su démontrer que la déconstruction peut générer des économies, ou bien se faire à des coûts équivalents.

Les multiples avantages de la déconstruction

Remplacer la démolition traditionnelle de nos bâtiments par une pratique de déconstruction génère de nombreux bénéfices sur tous les plans du développement durable, soient écologiques, économiques et sociaux.

Bénéfices écologiques

Le réemploi des matériaux :

  • permet de prolonger la durée de vie des matériaux.
  • favorise la préservation des ressources naturelles, en réduisant la demande de nouvelles ressources.
  • démontre un bel exemple d’économie circulaire : le déchet d’un bâtiment en fin de vie devient la matière première d’un autre bâtiment.
  • stimule la synergie entre la déconstruction et la rénovation.
Économie circulaire de ressources naturelles
La déconstruction permet l'économie circulaire de nos ressources naturelles.

Bénéfices économiques

La déconstruction :

  • évite des frais de transport, broyage et traitement pour chaque tonne de matériau réemployée.
  • réduit des coûts de matériaux de construction pour les citoyens québécois.
  • peut générer des économies et même des revenus potentiels.

Bénéfices sociaux

Démocratiser la pratique de la déconstruction :

  • suscite l’intérêt d’autres entrepreneurs et constructeurs à l’adopter.
  • permet le développement d’outils pratiques pour faciliter le processus des projets suivants.
  • renforce une approche collaborative avec le milieu régional du secteur de la construction.
  • favorise l’accès à un logement abordable, en donnant accès à des matériaux de construction récupérés moins coûteux.
  • fait croître les compétences et la main-d’œuvre qualifiée dans le milieu.
  • crée des emplois locaux, soutenant ainsi le développement économique régional.

Freins à la déconstruction

Même si la déconstruction présente de nombreux avantages, elle comporte aussi certaines contraintes.

  • Si votre bâtiment contient de l’amiante ou de la peinture au plomb, il est crucial de prendre toutes les précautions nécessaires. Dans ce cas, il est préférable de faire appel à une entreprise spécialisée.
Desamiantage d'une maison
Le désamiantage rend la construction plus complexe. 
  • Un des principaux défis réside dans la capacité des parties prenantes à adopter et intégrer une nouvelle approche de manière collective et coordonnée.
  • Un autre obstacle à la déconstruction est le nombre limité d’entreprises prêtes à s’y engager.
  • Ce processus nécessite évidemment plus de temps.

Malgré ces quelques désavantages, opter pour la déconstruction comporte définitivement plus de bénéfices que d’avoir recourt à la démolition. Avec une préparation soignée et une prévention adéquate, ainsi qu'en démocratisant cette pratique, les obstacles seront sans doute réduits et atténués, notamment grâce à la création d'outils issus des expériences accumulées et à la formation d'une main-d'œuvre qualifiée.

Une bonne conception pour mener à une déconstruction facilitée

La conception d’un bâtiment joue un rôle crucial dans la réussite de sa déconstruction, tant d’un point de vue économique qu’environnemental. Plusieurs choix faits lors de la construction peuvent faciliter cette étape : opter pour des matériaux facilement démontables et réutilisables, et privilégier des matériaux durables et recyclables dont la valeur reste intacte au fil du temps. Par exemple, l'utilisation d'uréthane sur certains matériaux rend leur recyclage très difficile, ce qui en fait un produit à éviter pour optimiser la récupération lors de la déconstruction.

Conception de plans de bâtiments
Il vaut mieux penser à la déconstruction dès la conception d'un bâtiment!

Une bonne planification dès la phase de conception est essentielle pour assurer une déconstruction efficace et une valorisation maximale des matériaux. Il convient de se poser la question suivante : comment ces matériaux pourront-ils être récupérés facilement en fin de vie? Moins il y a de matériaux complexes, plus le processus de déconstruction sera simple. Par exemple, privilégier l’utilisation de vis plutôt que de clous peut grandement faciliter le démontage.

Enfin, la construction de bâtiments modulaires, fabriqués en usine, permet un contrôle plus précis de la conception, facilitant ainsi leur déconstruction future.

Une pratique à faire connaître

La déconstruction représente une solution avantageuse à la démolition, tant sur le plan écologique qu’économique. En permettant le réemploi des matériaux et en réduisant les déchets envoyés à l'enfouissement, elle participe activement à la préservation des ressources naturelles et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Bien que cette approche nécessite davantage de temps et de coordination, elle offre des bénéfices notables, tant pour les municipalités que pour les citoyens, avec des économies potentielles et un impact environnemental réduit.

Le projet pilote de la Régie intermunicipale de traitement des matières de la Gaspésie a démontré que, loin d’être coûteuse, la déconstruction peut même être rentable, tout en générant des gains significatifs.

Pour que cette pratique se démocratise davantage, il est essentiel de repenser la conception des bâtiments dès leur conception, en tenant compte de la facilité de leur déconstruction future. Ainsi, la déconstruction pourrait non seulement révolutionner la manière dont nous gérons nos déchets, mais aussi contribuer à la construction d'un avenir plus durable et plus responsable.

Trouvez plus de pages sur les déchets de construction et rénovation ci-dessous et dans notre guide de la construction écologique.

Trouvez des professionnels et des produits ainsi que des projets de maisons écologiques exemplaires dans notre répertoire de l'habitation durable.

Sources :

Régie intermunicipale de traitement des matières résiduelles de la Gaspésie (2023). Déconstruction de bâtiments menant vers le réemploi des matériaux, rapport final.