L’approvisionnement local est plus que jamais d’actualité. Pour la construction résidentielle, s’il peut présenter des défis (trouve-t-on vraiment tout chez nous?), les opportunités sont grandes. Surtout que construire local ne veut pas dire nécessairement cher! Au Québec, l’abordabilité est à portée de la main si l’on maximise l’utilisation du bois. Le bois et les matériaux biosourcés sont à la base d'une stratégie sobre en carbone. Pour son rôle de séquestration carbone, on voit que le bois massif a tout à fait sa place dans la construction résidentielle.
Pour pousser le concept plus loin, Écohabitation a imaginé une maison durable en maximisant l’utilisation du bois local. Après avoir réalisé des plans architecturaux, l’étude a été menée jusqu’à l’évaluation financière. Verdict: il est possible de construire une maison et de réinvestir 45% du coût de construction directement dans l’économie archi-locale, contre 14 % pour une maison classique.
Vers la souveraineté en matière de construction résidentielle: vive la maison à moins de 200km!
C’est quoi construire local?
L’achat local est plus que jamais plébiscité: c’est le meilleur moyen pour soutenir et dynamiser l’économie québécoise. La construction et la rénovation sont des services non délocalisables, la consommation locale se joue au niveau du choix des matériaux et produits.
C’est le standard de la certification LEED® qui est souvent utilisé pour référence dans la définition d'un matériau local. La nouvelle mouture de la certification, LEED V4, récompense l'utilisation de matériaux et produis extraits, traités et fabriqués dans un rayon de 160 km de l’habitation. C’est la distance que prône la maison locavore: on n’est plus à l’échelle nationale, mais plutôt à l’échelle de la région, et même à l’échelle d’une MRC.
Le bois du Québec : des matériaux locaux par excellence, au cœur d’une vaste industrie
Le Québec est le pays du bois par excellence. En maximisant l’utilisation du bois de première et de deuxième transformation dans nos constructions, on encourage l’industrie locale. Celle-ci compte 893 usines employant près de 40 000 travailleurs en aménagement forestier ainsi qu’en transformation du bois. En tout, près de 135 municipalités vivent de cette industrie (chiffres Cécobois). Ces petites, moyennes et grandes entreprises fabriquent :
- Bois d’œuvre, fermes de toit, solives de plancher, composantes et modules préfabriquées, poutrelles en bois, panneaux de fibres de basse densité (LDF), panneaux de fibres de densité moyenne (MDF), panneaux de fibres de haute densité (HDF), panneaux de lamelles orientées (OSB), panneaux de particules, panneaux de porte en HDF moulés, panneaux isolants,
- Produits architecturaux, bardeaux et planches de revêtements extérieurs, tabliers de toit ou de plancher, terrasses préfabriquées
- Portes et fenêtres en bois, portes extérieures, portes-fenêtres, cadres, composantes, lucarnes préfabriquées
- Finition intérieure : panneaux muraux, placages et contre-plaqués, portes d’armoires et armoires de cuisines et salles de bain, parquets et planchers, balustrades, garde-corps, mains courantes, rampes, barreaux, poteaux et marches d'escaliers, éléments de plafonds suspendus, etc.
Construire en bois au Québec avec des matériaux archi-locaux
Les cours à bois et les grandes chaines de quincaillerie se situent à l’extrémité de la chaîne des produits du bois. Les scieries et manufacturiers québécois, de première et deuxième transformation, de petites et moyennes entreprises, sont de vraies mines d’or!
Ces entreprises souvent familiales s’approvisionnent en bois régional : la récolte de bois est importante pour le développement de nombreuses communautés rurales du Québec. À l’échelle provinciale, le bois récolté dans les forêts privées québécoises correspond à environ 20 % de l’approvisionnement des usines de sciage, de panneaux ou de pâtes et papiers.
Transformation du bois
Partout au Québec, on compte quelques 300 usines de transformation du bois répertoriées auprès du gouvernement. Titulaires de permis d’exploitation, elles consomment annuellement plus de 2000 mètres cubes de matière ligneuse non ouvrée (bois ronds, copeaux, sciures, rabotures, écorces). Ces installations fabriquent des produits finis prêts à être mise en vente ou fournissent des produits semi-finis destinés à l’industrie de seconde transformation, qui proposent des matériaux de structure et de finition standards ou sur mesure.
Au Canada, la production de bois d’œuvre provient majoritairement d’arbres résineux (épinette, pin, pruche, thuya) qui composent l’essentiel des forêts du pays. Les essences de bois franc (érable, merisier, chêne...) sont destinées à la confection de planchers ou de meubles, et d’autres ouvrages dits de finition. L’épinette, le pin et le thuya sont les principales essences transformées en bois d’œuvre au pays.
Par contre, les négoces qui transforment le bois localement achètent souvent leur matière première chez des fournisseurs qui en ignorent la provenance. Ceci est dû au système de distribution organisé à l’échelle provinciale. Ainsi, même si la seconde transformation a lieu sur le territoire local, il se peut que le bois ait été coupé dans d’autres régions.
Extraire et transformer le bois sur site: les moulins portatifs
Le circuit le plus court? L’extraction et la première transformation du bois sur site. Il n’y a pas plus local : les moulins portatifs permettent d’utiliser son propre bois et de le faire scier sur place. Une première transformation sans surcoût de transport.
La plupart du temps, ce sont les scieries qui offrent un service de scierie mobile local et certains proposent transformation complète sur place : planage, sciage séchage. L’utilisation d’une scierie mobile est une étape très économique : des sites plats et accessibles conviennent pour scier.
Il est important de savoir que pour le bois d’œuvre, les entrepreneurs préfèrent du bois étampé, et non du brut. Conséquemment, les arbres sciés sur place ne sont pas utilisés comme bois d’œuvre mais plutôt en revêtement extérieur et finition intérieure, soit des implications qui n’ont pas d’impacts structurels sur le bâtiment.
Conception des habitations: maximiser l’utilisation du bois
Le bois est déjà largement mis à profit dans l’industrie de la construction résidentielle. Charpente ou bois de construction, revêtement extérieur en déclin, finitions extérieures (terrasse et balcon couvert), planchers et escaliers sont les plus courants.
Structure légère, poutres et poteaux, pièces sur pièces, carré de bois... Quelle structure utilise le plus de bois?
Côté structure, la plupart des habitations unifamiliales et petits multilogements sont construits en ossature légère. Des 2x4 ou 2x6, des contre-plaqués et des solives en bois. Au-delà des fermes et poutrelles traditionnellement préfabriquées, la tendance va aux murs et modules préfabriqués.
D’autres méthodes de construction plus traditionnelles font aussi partie du paysage de la construction québécoise. Basées sur l’utilisation du bois massif, elles comportent des volumes de bois plus importants que l’ossature légère et un assemblage des pièces plus long:
- la méthode des poutres-et-poteaux (Timber Frame en anglais), dont les éléments massifs forment un squelette
- la construction en pièces sur pièces : en bois rond et en carré de madrier, dont les murs sont porteurs
Ces trois méthodes ont été utilisées du XVIIe au XIXe siècle et jusque dans les années 1940 pour la construction des maisons dans l’ensemble des régions du Québec. Le bois rond, les madriers, les poutres et poteaux sont encore utilisés de nos jours, et peuvent être bruts, fabriqués artisanalement.
Finition extérieure et intérieure
Les revêtements de murs et plafonds gagneraient à être démocratisés. Valeur architecturale et patrimoniale, qualité, durabilité: les qualités du bois sont multiples.
Outre les habitudes de conception et mise en œuvre, le prix plus élevé et le temps freinent souvent de privilégier le bois. Au niveau des revêtements de murs et de plafonds, le prix d’achat du bois est plus élevé que le gypse. Mais son coût réel, le coût d’opération, démontre l’inverse. Et si l'on considère toutes les étapes de finition du gypse (jointage, sablage, etc.), la pose de bois, sous forme de lambris ou panneaux s'avère plus avantageuse.
La maison archi-locale : 45% du prix réinvesti dans l’économie à l’échelle d’une MRC et presque 300 $ de valeur ajoutée par arbre
Une maison dont la plupart des composantes seraient fabriquées avec du bois, extrait dans la forêt locale. C’est ce que l’équipe d’Écohabitation a imaginé en réalisant une étude appliquée dans les Laurentides, et plus précisément le Cœur-des-Laurentides.
L’objectif était d’optimiser le montant de la construction réinvesti localement, et s’assurer que l’extraction, la transformation, la manutention et l’installation serait réalisée dans un rayon de moins de 160 km. Pour cela, la maison a été conçue avec un souci de maximisation de la valeur ajoutée par arbre.
Et comme le bois était au cœur du concept, la maison conçue est conforme aux standards de la certification Living Building Challenge.
Voici son portrait :
- Dalle sur sol
- Murs en madriers 3x10 en pin rouge
- Membrane élastomère, collée à l‘aide d’un après sur la face extérieure, de la dalle de béton jusqu’au pare-vapeur du plafond d’un toit cathédrale
- Mur double ossature en 2x3 et 2x4, par l’extérieur, soufflé à la cellulose
- Gypse recouvert de fibre de verre (ce qui évite les OSB ou contreplaqué traditionnels)
- Structure du toit montée sur place par des charpentiers menuisiers
- Revêtement extérieur de pin blanc ou d’épinette, façonné artisanalement
- Boiseries, finition spéciale et moulures de pruche et cerisier d’automne
- Armoires et comptoirs, cuisine et salle de bain avec du contreplaqué sans COV de grade "finition" pour les caissons
- Comptoir en bois massif combinées à des sections en béton (cuisine et salle de bain) en érable ou merisier
Construire une maison: combien d'arbres sont nécessaires?
Les plans architecturaux ont permis d’estimer l’exacte quantité de matériaux nécessaires à la construction, la dimension et le nombre des pièces de bois, exprimés en PMP. 1000 PMP équivalent à 20 conifères matures.
- PMP embouvetés: 1687
- PMP planés : 7058 (contre 3 745 pour une maison à ossature légère)
- PMP sciés en clin: 1302
- PMP total: 20 900 (contre 18 149 pour une maison à ossature légère)
- Nombre d’arbres moyen : 418 conifères matures (contre 363 pour une maison à ossature légère)
Extraire, transformer et construire archi-local: combien ça coûte?
Pour évaluer les coûts, nous avons mis à contribution un ingénieur forestier et un entrepreneur laurentien, qui se sont basés sur nos plans.
Verdict : cette maison durable laurentienne, dont le bois local est le matériau de base, coûte environ 250 000$. Si ce coût dépasse de 10.51% le coût de l’habitation classique, dont les matériaux de charpente, finition intérieure et extérieure, sont fabriqués industriellement, il faut considérer que 45,1% du coût de construction est directement réinvesti dans l’économie locale, contre 13,76% pour l’habitation classique.
De plus, il faut souligner que la valeur ajoutée pour chaque arbre exploité est considérable : près de 300$ sont injectés dans l’économie locale pour chaque arbre abattu, ce qui revient dire que la valeur ajoutée de chaque arbre est de presque 300$.
En voici les résultats détaillés :
- Coût total de la construction : 251 000 $ (contre 228 000 $ pour une maison à ossature légère)
- Montant relatif au bois réinvesti localement : 113 600 $ (contre 31 500 $ pour une maison à ossature légère)
- dont extraction et transformation : 56 600 $
- et manutention et installation :57 000 $
- Pourcentage du montant relatif au bois réinvesti localement dans le coût total de la maison: 45,1 % (contre 13,76% pour une maison à ossature légère)
- Valeur ajoutée par arbre, de l’extraction à la mise en œuvre, en passant par le façonnage et la finition : 272 $ (contre 86 $ pour une maison à ossature légère)
Malgré une dépense plus élevée qui privilégient le bois local, il est donc démontré que l’extraction et la première transformation sont tout à fait viables financièrement. En comparant les prix industriels et artisanaux, on se rend compte que la construction artisanale, en plus d'encourager l'emploi local, peut être intéressante même économiquement. Il est plus que jamais important de construire locavore, et nous venons de démontrer que la démarche représente une piste de solution pour le soutien de l'économie de nos régions.
Le bois québécois et canadien a la cote ! Les projets nationaux de construction en bois massif se multiplient et la capacité de production de matériaux en bois massifs est au beau fixe. Apprenez-en plus sur les perspectives de la construction à faible émission de carbone au Canada et au Québec.
Super article!
J'aimerais avoir plus de détails sur la technique de murs en madrier de 3x10. Comment les supports de planchées s'y rattachent? Comment les coins sont assemblés? Quelle compagnie fait ce genre de structure?