L'Institut national de santé publique (INSPQ) et l’Office d'habitation de l'Outaouais (OHO) se sont attaqués à la question des îlots de chaleur, en faisant appel à l’expertise d’Écohabitation. Le projet d’adaptation aux vagues de chaleur du Complexe Jean-Dallaire, à Gatineau, s'est penché sur les solutions possibles pour adapter les bâtiments et les rendre plus confortables lors des périodes de grande chaleur.
Contexte du projet
La saison estivale de 2018 a été la plus chaude observée jusqu'à ce moment en 146 ans d’observations météorologiques au sud du Québec. La canicule qui a touché le sud du Québec entre le 29 juin et le 5 juillet 2018 a affecté durant sept jours les environs de Gatineau, Montréal, Joliette, Saint-Hyacinthe et Saint-Jean-sur-Richelieu, avec des maximums quotidiens surpassant constamment les 30 °C (ministère de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques du Québec, 2018).
Plus de 260 records quotidiens locaux de chaleur ont alors été battus ou égalés. Cette canicule a été particulièrement mortelle dans la région métropolitaine de Montréal et en Montérégie, où sont survenus la majorité des 70 décès enregistrés dus à la chaleur.
Adapter le cadre bâti aux vagues de chaleur à Gatineau
Présentation du site des logements sociaux de la rue Jean-Dallaire
Le site choisi pour trouver des solutions permettant d'adapter le cadre bâti aux vagues de chaleur est l’ensemble de logements sociaux de la rue Jean-Dallaire à Gatineau. L’Outaouais a été retenu pour ce projet pilote en raison du fait que les données recueillies par Ouranos et par l’INSPQ démontrent que les vagues de chaleur y sont fréquentes et sévères et qu’elles ont un impact important tant sur le taux d’hospitalisation que sur le taux d’admission à l’urgence (INSPQ, 2018).
Plus spécifiquement, l’ensemble de logements sociaux se trouvant sur la rue Jean-Dallaire était pertinent dans la mesure où il est un site typique des ensembles de logements construits dans les années 1970 et 1980. Construit en 1971, cet ensemble de 121 logements faisait d’ailleurs déjà l’objet de mesures pour améliorer leur étanchéité, ce qui nous a permis de mesurer l’impact de ces rénovations sur le confort des occupants lors des vagues de chaleur.
Un ensemble de logements vulnérable?
Une analyse rapide du site démontre que bien qu’il se trouve à proximité d’îlots de fraîcheur en raison de la présence de parcs et de zones boisées, le complexe de logements sociaux de la rue Jean-Dallaire est tout de même situé dans une zone vulnérable aux îlots de chaleur.
En effet, cette zone est fortement urbanisée. De même, les logements sociaux sont encadrés de larges rues et entourés de vastes stationnements asphaltés. Proportionnellement, sur chaque site, plus d’espace est réservé aux stationnements qu’au gazon ou qu’aux arbres et presque aucun couvert d’arbre n’est présent du côté de la rue Jean-Dallaire. Par ailleurs, les bâtiments sont construits avec une brique foncée qui accumule beaucoup de chaleur au courant de la journée. Ces trois éléments concourent à accentuer l’effet des vagues de chaleur dans ce complexe de logements.
L’objectif général du projet était de diminuer les coûts annuels en énergie en termes de chauffage et de climatisation dans un parc de logement vieillissant. Plus spécifiquement, on cherchait à savoir si les mesures de rénovation proposées permettraient de limiter l’effet des vagues de chaleur en été. Ultimement, en travaillant tant au niveau du bâtiment que de l’aménagement du site, l’objectif de l’INSPQ était de faire en sorte que les occupants soient moins vulnérables aux vagues de chaleur, sans, toutefois, diminuer le niveau de confort des occupants.
Écohabitation cherchait aussi à privilégier les solutions les plus déterminantes, écologiques, économiques et profitables pour le plus grand nombre. En ce sens, nous avons notamment cherché à vérifier s’il était possible de s’adapter aux vagues de chaleur en utilisant uniquement des mesures structurelles et passives.
Cette étude a été divisée en deux volets, soit :
- La simulation énergétique de la consommation sur une base annuelle prenant en compte les améliorations de l’enveloppe pouvant entraîner des économies récurrentes, effectuée à l’aide du logiciel HOT2000 pour une année générique.
- La simulation horaire de la variation de la température sèche, de l’humidité relative et de la température radiante moyenne, effectuée selon la méthode des séries temporelles radiantes pour une période de vague de chaleur prédéterminée selon des données historiques.
En d’autres mots, Écohabitation a d’abord tenté de mesurer l’aspect économique des investissements sur l’enveloppe des bâtiments par une modélisation des performances de ceux-ci, avant et après les rénovations. Puis, on a estimé le confort thermique des occupants grâce aux données concernant les températures moyennes lors de vagues de chaleur et par une estimation de la chaleur produite par divers profils d’occupants. Vous pouvez en apprendre plus sur les services-conseils offerts par Écohabitation ici.
Simulations énergétiques pré et post-rénovation
Premièrement, l’équipe a simulé le comportement de six bâtiments du complexe Jean-Dallaire, avant et après les rénovations prévues sur l’enveloppe du bâtiment, sur une année complète. Sans surprise, les rénovations permettent de diminuer la consommation d’énergie sur une base annuelle.
Dans la mesure où la consommation est tributaire du comportement des occupants, on peut constater une économie annuelle variant de 127 $, pour le logement de 2 chambres, à près de 400 $ pour l’un des logements de 3 chambres. Ces économies sont basées sur l’hypothèse que chaque logement est climatisé, avec une température de consigne de 25 °C.
La dernière ligne du tableau 1 montre que le besoin de climatisation est réduit par rapport à la situation qui prévalait avant les rénovations, ce qui réduit l’importance de la climatisation pour le maintien du confort thermique des occupants. Ces valeurs ne permettent pas cependant de prévoir le confort en absence de climatisation.
Au niveau du confort des occupants, le portrait est cependant plus complexe en été qu’en hiver.
En période hivernale, c’est assez simple et linéaire. Une isolation supplémentaire et des fenêtres de meilleure qualité permettent à la fois de générer des économies d’énergie et d’assurer un confort supérieur aux occupants. L’été, c’est moins évident. En effet, si l’ajout d’isolant dans les murs contribue à ralentir les variations extrêmes de température entre l’intérieur et l’extérieur, il contribue aussi à emprisonner les gains de chaleur internes.
Aussi, le travail sur l’enveloppe du bâtiment ne suffit pas à lui seul à régler le problème des vagues de chaleur et des modélisations spécifiquement adaptées à ce problème sont nécessaires pour mieux comprendre les solutions à privilégier.
Effet des rénovations en période de canicule
Dans un deuxième temps, Écohabitation a donc utilisé les modélisations pour mesurer comment la température intérieure et l’humidité évoluent selon différentes configurations pendant une période d’une semaine, heure par heure, lors d’une canicule typique, et ce, avant et après les mesures de rénovation apportées à chaque résidence.
Il importe de garder à l’esprit que les courbes de variation montrent des tendances et non des valeurs absolues, ce qui aurait nécessité des mesures in situ lors de vagues de chaleur avant et après rénovation. C’est donc un exercice complexe et empli d’hypothèses, car toute modélisation nécessite des hypothèses simplificatrices afin de diminuer le niveau de complexité des phénomènes naturels étudiés sous forme d’équations mathématiques. Malgré tout, cette modélisation offre un bon indicateur de la manière dont différentes configurations peuvent influencer la façon dont on vit une vague de chaleur.
Calibration des modélisations
La première étape pour mener à bien le projet a été de s’assurer que les modélisations soient cohérentes avec les mesures prises sur le terrain. Pour débuter, un sondage avait été mené auprès des résidents en 2017 pour constater la situation actuelle. Puis, une période propice aux vagues de chaleur (du 22 au 29 août) avait été sélectionnée pour mesurer les températures. Bien qu'il n'y ait finalement pas eu de vague de chaleur au cours de cette période, les modèles ont ainsi pu être calibrés en comparant les estimations théoriques aux mesures réelles.
Grâce à cette méthode, le comportement de chaque bâtiment lors de vagues de chaleur a été calibré en fonction de son comportement réel. Dans la figure précédente, on voit que, à la suite de la calibration, les modèles théoriques comparés aux mesures réelles sont très similaires.
Simulation en période de canicule
À la suite de cette calibration, l’ingénieur Denis Boyer a procédé à la simulation horaire en période de canicule pré et post-rénovation comparativement à la température extérieure locale. En lien avec ces modélisations, la première constatation qui s’est imposée est qu’en période de canicule, la température sèche post-rénovation est souvent supérieure à la température avant les travaux. Tel qu’on le constate dans la figure 2, au niveau du rez-de-chaussée, les températures sont souvent très élevées, probablement en raison du fait que la chaleur générée par les occupants et les électroménagers, telle que lors de la cuisson des aliments, demeure davantage à l’intérieur.
Du côté de la température radiante (température émanant de l’accumulation de chaleur des objets et de la structure), tel qu’on le voit dans la figure 3, on constate des pics de chaleur importants dans la chambre. Cela s’explique par la température élevée du plafond de l’étage surchauffé par l’énergie absorbée par le toit.
En prenant en compte toutes ces mesures sur la température et l’air et la température radiante, et en y ajoutant le taux d’humidité relative, la vitesse de l’air, l’habillement et le métabolisme des occupants, on peut estimer le niveau de confort attendu. Il apparaît à nouveau que les rénovations sont responsables d’une détérioration du niveau de confort intérieur, puisque, comme on le voit dans la figure 4, le pourcentage prévisible d’insatisfait (PPD) a augmenté de manière générale après les travaux!
Les modélisations sur les autres logements en viennent essentiellement aux mêmes résultats. Ainsi, la conclusion qui s’impose ne laisse aucun doute.
Meilleure efficacité énergétique d'un bâtiment ancien ne va pas de pair avec confort estival
Les mesures d’efficacité énergétique ne semblent pas améliorer le confort durant les périodes de chaleur accablante. C’est même l’inverse! En l’absence d’un effort concerté pour éviter la surchauffe, la chaleur dégagée par les occupants combinée aux gains solaires sera davantage retenue à l’intérieur du logement, augmentant du coup le niveau d’insatisfaction. Ainsi, les mesures d’efficacité énergétique sont loin de suffire pour assurer l’adaptation des logements aux changements climatiques!
Évidemment, les modélisations ont leurs limites. Elles ne prennent notamment pas en compte les comportements des occupants tels que l'ouverture des fenêtres, la fermeture des rideaux ou l’usage de climatisation et leurs effets sur le confort intérieur. Clairement, ces facteurs ont un impact considérable. Malgré tout, ces simulations nous permettent de conclure qu’à elles seules, les rénovations visant l’efficacité énergétique sont nettement insuffisantes et que d’autres mesures doivent être mises en place! Mais quelles solutions privilégier?
Découvrez ici les recommandations d'Écohabitation pour le complexe Jean Dallaire.
Apprenez en plus sur les manières de combattre les vagues de chaleur dans nos pages ci-dessous et dans notre guide de la construction écologique.
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