En 1992, la maison autonome conçue par l’architecte Martin Liefhebber était l’un des deux concepts retenus lors du Concours de modèles de maisons sains de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Primé, le projet était devenu réalité en 1996, aux côtés de Rolf Paloheimo, constructeur et propriétaire volontaire. Imaginez le tableau: un jumelé de trois chambres sur un petit terrain dans le centre-ville de Toronto... entièrement indépendant du réseaux d'énergie, d'approvisionnement en eau et d'égoûts! En plus d'un contrôle rigoureux de la qualité de l'air intérieur et de la santé des occupants, le concept n'est pas sans nous rappeler la certification Living Building Challenge... 20 ans en avance! Rien a envier aux maisons autonomes contemporaines criblées d'équipements dernier cri.
Sur base du rapport de recherche de SCHL et du témoignage du propriétaire, Écohabitation dévoile les caractéristiques les plus intéressantes du projet et son évolution au fil des années. Faites immersion dans ce projet urbain vintage innovant… 20 ans plus tard!
Le concept de départ
Un jumelé de quatre étage, 1 700 pieds carrés et trois chambres à coucher, jusque là, c'est ordinaire. Mais les stratégies mises en place pour l'autonomie ne sont elles aussi, en fait, qu’un ensemble d’idées simples et déjà éprouvées. Eh oui, on pouvait être indépendant des réseaux en low tech déjà dans les années 90: équipements mécaniques très performants mais pas de sécheuse, robinetterie à faible consommation, enveloppe hautement isolée et étanche, bonne utilisation de la masse thermique, apport solaire maximal grâce à l’orientation de la maison, fenêtres éco énergétiques, matériaux à faible impact, etc. Bien agencées, toutes ces composantes savamment choisies allaient lui permettre de consommer très peu. Sur plan, la maison devait consommer la première année:
- 120 litre d'eau par jour, soit le dixième d’une habitation normale (la pluie et la neige devant être les seules sources d’eau)
- 75 % de l’énergie totale fournie par le soleil (passif et photovoltaïque)
- 25 % de l’énergie via une génératrice
Les coulisses de l'autonomie en eau
Prérequis de l'autonomie: une faible consommation. Par exemple, les toilettes à chasse d'eau siphonique par action gravitaire ne consomme que 6 litres, alors que ce modèle n'est obligatoire que depuis 2014! Puis les eaux usées en provenance du lave-linge, de la baignoire, des éviers et lavabos sont purifiées et recyclées en prévision de l'alimentation des toilettes, du lave-linge, des baignoires et des douches.
Mais comment s'approvisionner d'eau consommable sans réseau municipal? Avec l'eau de pluie! Stockée dans un citerne de 20 000 litres enfouies sous terre derrière la maison, elle est récupérée et recyclée de 3 à 5 fois, indépendamment du système de recyclage des eaux grises.
Entre autres systèmes de filtrations mécaniques (filtres dégrossisseur, à sable et à charbon activé), l'eau passe au travers d'un système de filtre biologique Waterloo Biofilte (11 m2). Installé au sous-sol, il a été conçu pour être suffisant pour couvrir les besoins journaliers de la maison. Il avait été choisi car ses bactéries aérobies traitent les eaux usées par biodégradation réduisant les contaminants à moins de dix parties par millions (10 ppm).
Le système devait permettre de traiter 600 litres d’eaux usées par jour sans utiliser de produits chimiques pour des usages secondaires. L’eau, filtrée au charbon puis traitée à la lumière ultraviolette, serait par la suite recueillie dans une citerne de 20 000 L en béton munie d’une couche de roche calcaire qui neutralise les pluies acides, devait suffire à fournir la quantité d’eau nécessaire pour 5 mois.
Un système septique de classe 6 avec système de lessivage au filtre à sable a été prévu pour éliminer les eaux non recyclées.
Coûtant environ 25 000 $, ce système complexe mais complet permet de réaliser des économies importantes.
La mécanique solaire
On revient au principe de la réduction de la demande avant d'autoproduire. Donc tous les appareils sélectionnés sont très performants, consommant peu d’énergie. La penderie de séchage devait éviter d'avoir une sécheuse, très énergivore, et le compresseur et le condenseur du frigo ont été situés hors de l’enveloppe, ce qui permettait de réduire de 40 % les besoins en énergie de l’appareil.
Huit panneaux photovoltaïques fixés au toit, pour une capacité totale de 2,3 kW d’électricité les journées ensoleillées, devait fournir la majeure partie de la consommation de la maison. L'électricité, emmagasinée dans des batteries au plomb à courant direct, peuvent stocker suffisamment d'énergie pour répondre à la demanne pendant quatre journées sans soleil. Un convertisseur à haute efficacité, qui transforme le courant direct à partir de la batterie de 48 volts en courant alternatif domestique de 120 volts, peuvent supporter une forte surtension et consomment peu de courant au ralenti. Les prévisions annuelles de production étant de 3 600 kWh d’énergie, pour une demande de 12 kWh sur 24 heures, la génératrice d’appoint au combustible à essence devait fournir 900 kWh (25 %).
Il a été prévu qu'une part du chauffage serait assurée par le plancher radiant: un réservoir de 2 200 L d’eau, isolé des systèmes vus précédemment, emmagasinerait la chaleur absorbée par les planchers de béton pendant la journée, et la restiturait lors de besoin grâce à des commandes thermostatiques.
Le coût annuel d’occupation de la maison devaient osciller autour de 300 $ !
Tout pour la santé
L'autonomie est un concept phare de cette maison torontoise, mais c'est bien sous le nom de maison saine qu'elle est présentée par la SCHL. La santé des occupants et la qualité de l'air intérieure qui lui est relative étaient de véritables cibles du concept.
Premièrement, l'air a été contrôlé à la source par un système de ventilation réupérateur d'énergie performant. L'air est continuellement filtré pour en retirer les polluants et le système est constamment contrôlé et fonctionne continuellement. Ensuite, pour éviter toute source de contaminants chimiques et biologiques de l'intérieur, tous les matériaux ont été sélectionnés avec soin. Plâtre de finition sans adjuvant, comptoirs en béton et en verre, finition du bois à l'eau à faible teneur en composés organiques volatils (COV).
20 ans plus tard: pari réussi?
Rolf et Diana Paloheimo, ainsi que leurs deux enfants, ont vécu dans cette maison révolutionnaire pendant près de 20 ans. Alors, c’est comment de vivre dans une maison sans raccordements? Eh bien, une grande partie de la maison est restée fidèle au concept d’origine, même au travers des années. Seules quelques idées manquées ont dues être modifiées. Albert Warson, du Globe and Mail, a interviewé les propriétaires (2014, mise à jour 2018), dont les commentaires traduits par Écohabitation sont retranscris ici:
Mme Paloheimo n'aimait pas la maison au début, la trouvant trop compliquée, « mais j'ai fini par l’adorer, en particulier pour le confort et la chaleur qu’elle apporte lors des jours froids. Je l'aime aussi structurellement et architecturalement, avec ses petits balcons et autres fonctionnalités ».
Au niveau de l’énergie, le défi était grand : « Avec deux jeunes enfants, la penderie sèche-linge n’étaient pas assez efficace, et nous avons fini par acheter une sécheuse conventionnelle. Nous avons également remplacé le refrigérateur par un modèle européen, plus efficace en été ».
La maison construite en 1996 n’était pas équipée de climatisation, pour réduire les coûts. En temps de grande chaleur, la famille devait donc garder les volets et les fenêtres fermés. Pour cette raison et quelques autres, ils se sont connectés au réseau après quelques années. Ils payent donc une facture très honorable en termes d’électricité, mais ont pu se procurer une thermopompe air-eau qui fournit une partie de la chaleur (au lieu de la génératrice) en hiver et la climatisation en été. Une partie de l’énergie captée par les panneaux est également revendu sur le réseau.
Au niveau des coûts, les prévisions de la SCHL étaient donc un peu trop idéalistes. La famille paye environ 1 000 $ par année pour exploiter la maison. On est loin des 300 $ escomptés, mais cela représente tout de même le tiers de la consommation d’une maison classique de même taille.
La gestion de l’eau s’est avérée plus problématique, et la famille a dû faire des ajustements au cours des premières années. « Nous avons manqué d’eau quelques fois, alors nous avons dû remplir notre réservoir avec le tuyau de la maison d'un voisin. Mais maintenant, on a généralement trop d'eau. Et laver la vaisselle avec l’eau de pluie est vraiment très efficace ».
Quelque 30 000 Canadiens ont eu la chance de visiter la maison située dans le quartier Riverdale à Toronto. Elle est maintenant privée, mais on peut en avoir un aperçu de la maison, en dehors et en dedans.
L'autonomie en question
Les maisons construites sur des terrains non desservis par les services municipaux nécessitent des investissement considérables pour produire de l'énergie, s'approvisionner et traiter l'eau de manière décentralisée. Des montants qui se situent souvent dans les dizaines de milliers de dollars. Ainsi, il peut s’avérer financièrement avantageux d’opter pour une maison autonome plutôt que de payer pour la connexion.
Et en plein centre-ville de Toronto, quel avantage? Si évidemment le projet représente un grand intérêt de démonstration, le concept autonome n'est pas avantageux en termes d'impact environnemental. Dans un milieu densément occupé, se raccorder à l'écosystème de réseaux urbain est l'option la plus économe à tous les points de vue. « Comme avec la certification Living Building Challenge, qui requiert l'autonomie en eau et en énergie, on peut rester critique sur l'objectif d'indépendance au fondement de ce projet », commente Emmanuel Cosgrove, directeur d'Écohabitation.
« Un bâtiment autonome touche l'imaginaire de tous et ce projet a fait avancer l'industrie sans contredits. Mais les outils d'analyse de cycle de vie à notre disposition démontrent que le degré de réduction de l'impact environnemental qu'on vise n'est pas au rendez-vous. » En effet, le cycle de vie des batteries, nécessaires au stockage de l'énergie, et de la génératrice, souvent nécessaire, n'est pas favorable.
« Écohabitation questionne l'obsession pour l'autonomie, qui est très populaire dans la communauté de l'habitation. Car le recours aux réseaux mis en commun est bien plus écologique » conclut Emmanuel Cogrove.
Par contre, le directeur d'Écohabitation salue le caractère fondateur de ce projet: « La maison saine de Toronto est citée dans la plupart des excellents guides de la SCHL, que ce soit pour la construction à ossature bois, la maison saine, l'habitation adaptée aux personnes hypersensibles... Beaucoup de matériel éducatif de la SCHL provient de la recherche effectuée sur ce projet en avance sur son temps! ».
Restez à l’affût, nous parlerons bientôt de la maison Edelweiss, performante mais connectée au réseau, 2 ans plus tard.
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