Gaz naturel fossile — le vrai problème

Depuis des décennies, le gaz naturel est présenté comme une alternative écologique plus sûre aux combustibles fossiles tels que le charbon. Même le mot « naturel » suggère son alignement avec des objectifs de durabilité — un contresens qui, jusqu’à récemment, a largement échappé au radar du public. En tenant compte des rejets de méthane provenant de fuites involontaires et de dégazages intentionnels tout au long de la chaîne d’approvisionnement du gaz, ces prétentions écologiques sont rapidement remises en question.

Les partisans du gaz naturel citent souvent le fait qu’il émet, lors de sa combustion, 50 % moins de dioxyde de carbone (CO2), un polluant climatique, que le charbon. Cette méthode de calcul des émissions de CO2 a donné lieu au rapport 2021 de l’Environmental Protection Agency (EPA), selon laquelle les émissions de gaz à effet de serre (GES) aux États-Unis « ont continué à diminuer, principalement en raison de l’utilisation croissante du gaz naturel et des énergies renouvelables pour produire de l’électricité à la place de combustibles plus riches en carbone. »

L’ampleur du problème du gaz fossile

Le gaz naturel et le charbon ont des émissions significatives de CO2 et d’autres polluants climatiques, comme le méthane, tout au long de leur chaîne d’approvisionnement, de l’extraction à l’utilisation finale.

De nombreuses comparaisons entre le charbon et le gaz naturel prennent uniquement en compte les émissions occasionnées lors de la combustion en fin d’utilisation, soit celles d'une centrale électrique ou d’un four à domicile. Cette méthode de calcule laisse de côté les émissions totales de GES générées par l’extraction, le transport et le traitement du gaz naturel et du charbon. Dans la réalité, les fuites de méthane dans la chaîne complète amènent le niveau global d'émissions du gaz à parité avec celui du charbon, en particulier à travers la chaîne d’approvisionnement en gaz.

raffinerie
L'approvisionnement en gaz naturel est une source de pollution importante.  © Pixabay

Pourquoi le méthane est-il un tel problème?

Le méthane représente environ 70 à 90 % de la composition du gaz. Ainsi, lorsque le gaz naturel fuit, c’est surtout ce composé chimique qui est libéré. En tant que polluant climatique, le méthane a un potentiel de réchauffement 80 fois plus important que le CO2 sur une période de 20 ans. Le gouvernement du Canada parle d'un potentiel au moins 25 fois supérieur à celui du CO2 sur une période de 100 ans

Alors que les émissions de CO2 ont dominé les conversations publiques sur les changements climatiques et les stratégies de lutte, s’attaquer au méthane permettrait d’obtenir des réductions importantes, à moindre coût, plus rapidement. Par rapport aux stratégies mondiales plus complexes visant à réduire les émissions de CO2 pour un avenir climatique plus sûr, la réduction du méthane est une solution à portée de main. Pour mettre cette opportunité en perspective, minimiser les fuites de méthane aux États-Unis serait équivalent à retirer toutes les voitures américaines de la route pendant un an.

Une nouvelle analyse récente de l’Institut Rocky Mountain au Colorado a évalué les émissions mondiales du cycle de vie du gaz (de l’extraction à l’utilisation finale) et les a comparées aux émissions mondiales du cycle de vie du charbon. Cette analyse donne aux utilisateurs les outils pour comparer de manière significative les émissions de charbon et de gaz sur la base de données quantitatives plutôt que d’hypothèses qualitatives.

L’article passant en revue cette analyse, publié dans la revue scientifique Environmental Research Letters, conclut que les fuites de gaz sont aussi néfastes pour le climat que le charbon. Ces données permettent de confirmer les études précédentes, qui comparent la combustion du gaz au charbon, et de prouver que 2 % de libération de méthane par du gaz a le même risque climatique que le charbon. Cependant, lorsqu’on considère les émissions nettes de tous les gaz à effet de serre provenant du gaz naturel et du charbon (y compris le CO2, le méthane et le dioxyde de soufre), la pollution engendrée par le gaz naturel et le charbon équivaut à seulement 0,2 % de fuites de méthane.

pollution industrielle du gaz
Le méthane est plus de 80 fois plus puissant que le CO2 sur une période de 20 ans.

Les fuites de gaz ont été largement documentées par les médias au cours des dernières années. Des enquêtes aériennes en cours et une constellation croissante de satellites révèlent que les fuites de méthane sont beaucoup plus fréquentes et intenses qu’on ne le pensait auparavant. D’énormes panaches de méthane émanant des installations énergétiques montrent clairement que l’équipement de production seul peut fuir de manière persistante au-delà de ce seuil de 0,2 %. Le taux de fuite de 0,2 % considéré par l’industrie et l’EPA n’est donc clairement pas assez bas. Une détection et un signalement plus stricts du méthane sont impératifs pour protéger le climat.

Où le méthane apparaît-il dans la chaîne d’approvisionnement en gaz ?

Les émissions de méthane provenant de la chaîne d’approvisionnement en gaz se répartissent en deux grandes catégories : les rejets involontaires et les rejets intentionnels.

Les rejets de gaz involontaires

Les rejets involontaires de méthane dans l’atmosphère proviennent du dysfonctionnements de l’équipement des champs de gaz, comme les plateformes de puits, les vannes et les stations de compression. Des défaillances catastrophiques, comme les éruptions de puits, peuvent pomper des centaines de tonnes de méthane dans l’atmosphère pendant des semaines ou des mois.

Il en est de même pour les pipelines de gaz. L’explosion du pipeline Nord Stream en septembre 2022 a libéré plus d’un demi-million de tonnes de ce polluant dans l’espace d’une semaine, faisant la une des journaux. De nombreux autres rejets de méthane passent inaperçus, à moins qu’un satellite ou un capteur détectant le méthane ne les détectent.

Les rejets de gaz intentionnels

Les rejets intentionnels sont principalement liés au dégazage et au torchage. Le torchage est le terme utilisé pour brûler le gaz indésirable dans le système pétrolier et gazier. La combustion incomplète de ce gaz entraîne sa libération dans l’atmosphère sous forme de méthane. Des études récentes ont montré que les torchères non allumées ou inefficaces libèrent cinq fois plus de méthane qu’on ne le pensait auparavant.

Pourquoi devrions-nous arrêter le méthane à la source?

La dernière mise à jour des données de l’Oil Climate Index plus Gas (OCI+) de l'Institut Rocky Mountain, qui évalue la majorité des actifs gaziers et pétroliers mondiaux de 2015 à 2022, révèle que le méthane est à l’origine de la moitié des émissions de GES de l’industrie pétrolière et gazière. Heureusement, les interventions stratégiques pour réduire les émissions de méthane dans la chaîne d’approvisionnement en gaz naturel sont relativement simples et rentables par rapport à la complexité et au coût de la décarbonisation de l’économie mondiale.

L’interdiction du dégazage et du torchage de routine, ainsi que l’intégration de réparations et de mises à niveau des équipements de routine dans les plans de maintenance, peuvent réduire considérablement les émissions de méthane des sites de production.

Une meilleure transparence sur les émissions réelles tout au long des chaînes d’approvisionnement en pétrole et en gaz naturel peut aider les décideurs politiques et les dirigeants de l’industrie à réagir à la situation. Ceux-ci ont le pouvoir d'instaurer des interventions spécifiques et de trouver des solutions pour réduire les émissions, arrêter les fuites de méthane et éviter le gaspillage de gaz. L’action de l’industrie pourrait également augmenter les profits en obtenant des prix premium pour le gaz naturel à faibles émissions et en évitant les amendes réglementaires comme la Methane Fee de l’Inflation Reduction Act aux États-Unis.

Le gaz naturel produit et livré pour une utilisation finale par le consommateur avec zéro fuite a 30 % moins d’émissions de gaz à effet de serre que le charbon. Tant que ce combustible fossile reste dans le mix énergétique mondial, il est essentiel que le leadership de l’industrie, combiné à une politique forte, à des incitations financières et à l’innovation technologique, propose des solutions pour réduire le méthane dans la chaîne d’approvisionnement du gaz naturel.

Dans cette décennie décisive, où une réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales est nécessaire pour rester assurer un avenir climatique sûr, les coupures de méthane représentent une étape réaliste et rapide pour éviter la catastrophe.

Le problème de l’investissement dans le GNR — perpétuer le mythe du gaz vert

Au Québec, on entend souvent parler de gaz naturel renouvelable (GNR) pour diminuer les risques environnementaux engendrés par le gaz naturel. Le GNR est issu d’un processus de biométhanisation, soit la décomposition des matières organiques de façon anaérobique pour récupérer le méthane créé. Il se dit « naturel », puisqu’il est créé à partir de restes de nourriture, de boues de fosses septiques, de fumier ou d’eaux usées. Toutefois, le processus de raffinement du méthane extrait à partir des matières organiques est le même que pour le gaz fossile et nécessite le maintien du réseau de distribution. Cette option n’est donc pas aussi naturelle et écologique que l’on pourrait le croire.

Autre problème : le GNR ne représente pas plus de 5 % de la proportion de gaz alimentant les résidences québécoises, le reste étant toujours composé de gaz d’origine fossile. L’entreprise fournissant le GNR offre aux utilisateurs la possibilité de payer plus cher pour un gaz plus « vert ».

Toutefois, la coalition Sortons le Gaz !, dont fait partie Écohabitation, a récemment travaillé pour faire comprendre au public que le réseau ne peut acheminer deux sortes de gaz différents pour chaque résidence. Tous les consommateurs reliés au réseau ont donc le même pourcentage de GNR, peu importe le prix qu’ils paient. Les utilisateurs qui « incluent un plus gros pourcentage de GNR dans leur profil de consommation » paient simplement pour augmenter la quantité de GNR dans le réseau.

cuisinière au gaz
Selon une étude des HEC, 79 % des usages du gaz naturel actuels pourraient être convertis à l’électricité © Pixabay

L'avis d’Écohabitation

Il va de soi qu’en connaissant tous les enjeux reliés au gaz naturel et au gaz naturel renouvelable, nous proposons de réduire, voire de bannir, l’utilisation de ceux-ci dans les résidences québécoises. Alors que la décarbonation est plus difficile dans les bâtiments existants, Écohabitation considère que l’interdiction de l’utilisation du gaz dans les constructions neuves, quant à elle, est évidente. Le gouvernement québécois a d'ailleurs annoncé des modifications importantes des règlements en vigueur sur les appareils au gaz en novembre 2024, afin d'atteindre ses cibles de décarbonation.

C’est d’ailleurs pourquoi notre organisme s’est allié au Plan pour une économie verte du gouvernement du Québec (PEV) et demande la fin du gaz naturel dans les nouvelles constructions. 

Les alternatives au gaz pour le chauffage

Au Québec, les propriétaires de résidences possédant un système de chauffage au gaz ainsi que ceux qui ont un projet de construction de maison neuve ont avantage à opter plutôt pour l'électricité comme source d'énergie. L'électricité québécoise a beaucoup moins d'impact sur l'environnement et elle est aussi moins chère que le gaz! 

L'utilisation de thermopompes permet de réduire la consommation d'électricité utilisée pour le chauffage et constitue une option intéressante financièrement grâce aux différentes subventions disponibles.

Pour ceux possédant un système de chauffage central à eau chaude, ou désirant chauffer leur résidence avec un plancher radiant, il est possible d'utiliser une chaudière électrique pour alimenter ces systèmes.

Les systèmes de chauffage central à air pulsé peuvent être alimentés par une fournaise électrique. L'ajout d'un accumulateur de chaleur permet de pallier au problème de pointe de consommation hivernale.

L'utilisation des granules de bois pour le chauffage résidentiel et de la biomasse forestière pour le chauffage collectif sont aussi des options intéressantes pour un remplacer le gaz par des combustibles plus écologiques.

Trouvez plus de pages sur les impacts de l'utilisation du gaz ci-dessous et dans notre guide de la construction écologique.

Trouvez des professionnels et des produits ainsi que des projets de maisons écologiques exemplaires dans notre répertoire de l'habitation durable.