Au Québec, où la production de biomatériaux est abondante, l’économie circulaire fait l’objet de nombreuses initiatives. Les universités, laboratoires de recherche et autres acteurs publics et privés ont été particulièrement actifs ces dernières années, mettant leurs ressources à profit dans une approche d’étroite collaboration. Le Centre d'études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC), émanant de l’École de technologie supérieure (ÉTS), a été lancé il y a à peine 1 an et joue déjà un rôle de facilitateur dans le milieu. Une entrevue avec Hortense Montoux, Chargée de projet - Lab Construction au CERIEC, nous a permis d’en savoir plus sur le potentiel des matériaux biosourcés dans l’économie circulaire et sur les initiatives québécoises.
C’est quoi un matériau biosourcé ?
L’appellation biosourcé fait référence à la matière première d'un produit : elle est issue de la biomasse végétale, minérale, voire animale. On parle de bois, paille, chanvre, ouate de cellulose, mais aussi laine, lin, plumes, asclépiade commune, maïs, algues, manioc... Quoi que la liste ne soit pas exhaustive, elle exclut toujours le charbon et le pétrole !
Les applications des matériaux biosourcés sont multiples : ustensiles en feuilles de végétaux, cuirs en fibres d’ananas, styromousse fait de champignons, pneus à base de pissenlits… Les champs de recherche et développement sont variés, et de plus en plus nombreux. Combinant écologie et innovation, les produits biosourcés séduisent beaucoup dans le secteur de la mode, du design… et du bâtiment!
Structures et revêtements issues du bois, isolants organiques, peintures naturelles… Des bâtiments complets sont aujourd’hui construits avec ces matériaux durables, sains, écologiques, et réutilisables en fin de vie.
Les matériaux biosourcés, une réponse aux enjeux de l’économie circulaire
Québec circulaire, une plateforme de référence en économie circulaire animée par le CERIEC, définit l’économie circulaire comme « un nouveau modèle économique qui vise à découpler la croissance économique de l'épuisement des ressources naturelles et des impacts sur l'environnement par 2 principaux mécanismes :
- repenser nos modes de production-consommation pour consommer moins de ressources et protéger les écosystèmes qui les génèrent ;
- optimiser l’utilisation des ressources qui circulent déjà dans nos sociétés. »
Hortense Montoux, du CERIEC, nous a expliqué comment l’’économie circulaire peut intervenir à toutes les étapes de la vie du bâtiment : « avant de donner une nouvelle vie, c’est pertinent de se questionner sur l’amont : comment faire pour réduire en amont la quantité de ressources vierges utilisées, et comment s’assurer qu’une fois la fin de vie atteinte, la nouvelle vie sera plus aisée à opérationnaliser pour les matériaux ou les composantes des bâtiments. L’écoconception appliquée en construction (sous différentes formes : écoconception des matériaux, conception en vue de la déconstruction des bâtiments, certaines formes de préfabrication, conception intégrée, etc.) est intéressante en cela car elle a ensuite un effet sur toutes les étapes de la vie du bâtiment et des matériaux. »
Justement, l’utilisation de matières biosourcées s’intègre dans l’approche de l’économie circulaire, dans la mesure où elles sont de nature renouvelable et potentiellement biodégradable, tout en permettant de stocker temporairement du dioxyde de carbone (CO2) et de développer des filières locales.
Analyse de cycle de vie et empreinte carbone : des outils privilégiés pour mesurer l’intérêt des matériaux biosourcés dans l’économie circulaire
Pour mesurer (et limiter) l'impact environnemental des bâtiments, les experts utilisent de plus en plus des outils précis. Le bilan carbone des matériaux est évalué grâce à des logiciels qui permettent de connaître leur énergie grise, c'est-à-dire l'énergie nécessaire à la production des matériaux, de l'extraction de la matière première jusqu'à sa fin de vie. Ainsi, la conception d’un bâtiment à faible émission carbone doit privilégier les produits biosourcés, locaux, nécessitant le minimum d’énergie et de produits chimiques dans leur processus de transformation.
Au-delà de l’énergie grise des matériaux biosourcés, leur analyse de cycle de vie révèle un impact très limité sur les écosystèmes, sans consommer aucune ressource non renouvelable. La quantification environnementale via l’ACV est un objet de recherche de la directrice scientifique du CERIEC, Annie Levasseur.
L'utilisation de matières premières végétales apporte un autre avantage de taille : les matériaux biosourcés permettent de séquestrer le carbone ! En effet, selon la Société d'habitation du Québec, pour chaque mètre carré de bois employé en construction, 1 tonne de CO2 est évitée à l'atmosphère. Le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) est donc énorme. Le schéma suivant illustre le cycle de vie du bois, matériau biosourcé par excellence :
Par exemple, les matériaux à base chanvre, de Nature Fibres, située à Asbestos, sont issus du chanvre cultivé dans les champs de Wotton, municipalité voisine. Durant sa croissance, le chanvre assimile une grande quantité de CO2 par photosynthèse, il contribue donc à diminuer l’effet de serre. Les produits et matériaux qui y sont fabriqués présentent donc un cycle de vie particulièrement intéressant, et pourraient être candidats au réemploi.
Quelle fin de vie pour les biomatériaux ? Les matériaux biosourcés dans l’économie circulaire au Québec
La plupart des biomatériaux se démarquent par leur longévité spectaculaire : ils se démarquent donc pour repousser au maximum la fin de vie ! Des maisons bien construites, avec un maximum de matériaux biosourcés conservent leurs propriétés thermiques plus de 100 ans après leur construction ! Il est donc possible que les matériaux qui la composent n’aient pas de fin de vie de notre vivant… Les matériaux biosourcés sont des candidats idéaux pour une économie plus circulaire.
En pratique, de nombreux sont les matériaux synthétiques, comme les bardeaux d'asphalte, finissent encore à la décharge. Par contre, la récupération, le réemploi et le recyclage, le volet nouvelle vie de l'économie circulaire, concernent de nombreux matériaux (citons l'ajout cimentaire recyclé à base de bouteilles de verre). Selon les données présentées par un article de Diane Bérard pour les Affaires en 2019, « le recyclage sur les chantiers de construction au Québec s’élèverait à environ 74% pour le béton et l’asphalte, alors que ce taux chute à 25% concernant des matériaux comme la laine minérale, le bois ou le gypse. Il y a donc place pour le développement d’une filière de la déconstruction. »
En ce qui concerne les matériaux biosourcés, avec leur matière première de source renouvelable ou d’origine recyclée, ont un gros potentiel de réemploi. Par exemple, l’isolant de cellulose, le préféré d’Écohabitation, reste intact à très long terme. Il pourrait donc être utilisé pratiquement tel quel après déconstruction. Le béton de chanvre conserve quant à lui ses propriétés acoustiques et sa conductivité thermique en vieillissant. Il doit subir un concassement en fin de vie, et les granulats peuvent être réutilisés à d’autres fonctions, ou dans un nouveau béton de chanvre. Citons aussi le panneau de contreventement écologique et isolant fait au Québec à Louiseville, fait à 100 % de fibres de bois recyclées, dont les copeaux de bois proviennent d'un rayon de 150 km ou moins. De plus, il est recyclable à 100 %, pour un cycle de vie étonnant: la même fibre de bois peut être recyclée jusqu'à sept fois.
Dans la pratique : les filières de recyclage et de réemploi en phase de développement
Initiatives pour la remise en circulation des matériaux
Dans le concept d'économie circulaire, les initiatives qui permettent de remettre en circulation les matériaux en les transformant peu (boucles courtes) sont intéressantes, explique Hortense Montoux. Par exemple, le projet Éco Réno d’Architectures sans Frontières permet de remettre sur le marché des matériaux issus de la déconstruction, et d’autres structures sont en émergence ailleurs au Québec, comme Réemploi + au Saguenay.
Intiative particulièrement porteuse, Éco-Réno est une entreprise de revente de matériaux neufs, usagés et de composantes architecturales anciennes : bois, portes, fenêtres, bains sur pattes, éviers, lavabos, quincaillerie, robinetterie, moulures, boiseries, vitres, miroirs, planchers de bois franc, armoires, luminaires et plus encore. Entreprise affiliée à ASFQ, Éco-Réno fait partie des synergies innovantes déployées par l’organisme pour soutenir ses projets et propulser l’architecture sur la voie du développement durable.
Le réemploi et réutilisation sont-ils économiquement viables ?
Le secteur du bâtiment est soumis à de fortes pressions économiques : échéanciers de construction, prix des terrains et des matériaux de construction, etc. Dans ce contexte, la déconstruction ou la réutilisation des matériaux peuvent trouver une place dans la mesure où la hausse des prix des matériaux de construction a pu inciter certains acteurs à se tourner vers les matériaux de seconde main.
Mais les filières de réemploi sont cependant loin d'être opérationnelles à grande échelle. Selon le magazine Build Green, les bâtiments biosourcés arrivés en fin de vie sont encore trop peu nombreux pour qu’une filière de valorisation dédiée soit développée. Par contre, toujours selon ces derniers, des gisements suffisamment importants (supérieurs à 10 000 tonnes par an) devraient apparaître entre 2025 et 2045. Anticiper la fin de vie de ces matériaux est donc nécessaire.
Toutefois, au Québec, la voie a été ouverte par Architecture Sans Frontières Québec (ASFQ) : son programme Matériaux Sans Frontières, un projet de récupération de dons de matériaux de construction neufs et usagés incite aux dons de matériaux en fin de vie, et donc à la déconstruction plutôt que la démollition. Une manière de prolonger la durée de vie du bois (bois d’oeuvre, bois franc, bois de grange, bois traité, panneaux, etc.), des portes, fenêtres, armoires et cloisons, des revêtements et parement extérieurs et intérieurs et des matériaux de paysagement... Le programme fonctionne sous forme de d'incitatif fiscal, qui permet aux donateurs de bénéficier d'un reçu de charité. Au lieu de finir aux ordures, les dons acceptés sont ensuite redonnés par ASFQ pour soutenir des projets communautaires ou revendus au profit de sa mission grâce à notre entreprise partenaire Éco-Réno.
« Cependant, les modèles d’affaires de ces nouvelles filières restent encore à documenter et à démontrer afin de convaincre l’industrie de la pertinence de passer par ces pratiques. Le Lab Construction va aussi, sur certaines des solutions, mener des analyses économiques, qui sont essentielles pour susciter des changements de pratique » Hortense Montoux, CERIEC
La chargée de projet du CERIEC nous parle justement de pratique de déconstruction plus avancées aux États-Unis : « On découpe le bâtiment en grandes composantes pour le transporter vers un atelier de démantèlement situé à l’extérieur du chantier, pour pouvoir économiser sur certains coûts de main d’œuvre et composer avec les échéanciers de chantier par exemple : il reste donc pas mal de solutions à expérimenter sur ce point pour le Québec. »
Économie circulaire : un secteur en plein ébullition au Québec
Justement, dans le cadre du laboratoire d’accélération en économie circulaire pour le secteur de la construction, le CERIEC collabore avec des chercheurs de différentes universités. Cette initiative offre aux laboratoires de recherche un terrain d’expérimentation unique pour favoriser le développement et le transfert de nouvelles pratiques et de technologies innovantes.
« Nous sommes en train de monter des projets, qui auront un volet recherche et un volet terrain, pour expérimenter puis analyser certaines solutions en économie circulaire. Toutes les étapes de la démarche sont cocréées par les acteurs ; et les équipes solutions s’activent présentement à mieux définir des projets d’expérimentation concrets », précise Hortense. « À titre d’exemple, nous explorons actuellement des solutions autour de la traçabilité des matériaux, de la Conception en vue de la Réutilisation, des pratiques de rénovation circulaires, de la réglementation, etc. ».
Le Lab Construction est premier laboratoire de cet écosystème : « Des chercheurs de plusieurs disciplines et universités impliqués dans le Lab, dont les chercheurs du département du génie de la construction de l’ÉTS, abordent de nombreux enjeux, recoupant souvent ceux de l’économie circulaire. », nous explique la chargée de projet du Lab Construction. « Toutes les initiatives de déconstruction et de réemploi existantes peuvent concerner les matériaux biosourcés, et ainsi les remettre en circulation pour usages futurs. Le Lab Construction va justement se pencher sur le volet matériaux. » À suivre donc !
« La voie d’avenir, ce sera peut-être d’arriver à connecter plusieurs stratégies d’économie circulaire entre elles, dans une logique systémique, depuis la naissance d’un projet de construction jusqu’à la fin de sa première puis de ses autres vies. C’est plus un changement de pratiques, qui suppose que les acteurs travaillent différemment et ensemble, qu’un saut technologique. Car on le voit dans les travaux du Lab Construction : les solutions, pour bien fonctionner, sont directement liées à d’autres. Pour bien déconstruire et valoriser, il faut bien construire et bien tracer les matériaux, par exemple. » Hortense Montoux, CERIEC
Le Rendez-vous des écomatériaux, échanger et s’inspirer pour bâtir durablement
S'inscrivant aussi dans cette logique de collaboration avec le milieu, le Rendez-vous des écomatériaux rassemble une communauté experte passionnée, composée d'entrepreneurs, de décideurs politiques, de chercheurs et d'étudiants en filières spécialisées pour inspirer et faire avancer le secteur. Cet événement annuel contribue à donner une vision durable à l'industrie de la construction, en positionnant les écomatériaux comme une solution efficace et économique pour le secteur.
L'économie circulaire est donc une stratégie d'affaires gagnante pour l'environnement et l'industrie locale. Apprenez-en plus sur le sujet en consultant nos guides sur le bois et les autres biomatériaux du Québec, sur les matériaux faits à partir de cellulose, de chanvre et de fibre de bois, ainsi que nos guides sur les matériaux recyclés et récupérés pour mieux connaître les enjeux de la fin de vie des constructions.
Consultez aussi les ressources mentionnées dans cet article : Québec Circulaire, le CERIEC, Éco-Réno et Architecture sans frontières Québec.
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