Loisir agréable, production locale de miel ou sensibilisation à l’environnement, l'apiculture urbaine est une tendance qui s'installe dans les grandes métropoles mondiales. Mais, fait méconnu, elle n'offre pas de solution au déclin inquiétant des abeilles indigènes, une famille beaucoup plus vaste d'insectes qui ne produisent pas de miel mais dont le rôle de pollinisateur est essentiel.
Abeilles à miel versus abeilles indigènes
On le sait: les insectes pollinisateurs sont des acteurs de la biodiversité absolument essentiels. Selon une étude publiée par Greenpeace sur le sujet1, plus de 80 % des plantes à fleurs dépendent des insectes sauvages et la valeur des cultures dépendant de la pollinisation serait d’environ 265 milliards de dollars. Selon cette même étude, si les abeilles sauvages garantissent le rendement de près de 75 % des cultures agricoles, les abeilles domestiques, elles, n’assurent que 15 % de la pollinisation... Sauvages, domestiques: de quoi parle-t-on?
Toutes les abeilles ne sont pas les mêmes! Dans le cadre de l'apiculture, urbaine ou pas, les abeilles mises à contribution sont des abeilles domestiques, importées d'Europe à la fin du 17e siècle. Ces abeilles à miel, Apis mellifera, survivent à l'hiver nord-américain uniquement par l'intervention humaine. Elles ont un rôle primordial pour l'économie principalement, puisque c'est leur miel que l'homme cultive, et l'effondrement de leurs populations au travers du globe inquiète.
Mais il existe 3500 espèces d'abeilles sauvages en Amérique du Nord, et on en compte au Québec environ 350. Les abeilles sauvages sont indigènes et donc complètement adaptées à leur milieu: elles ont évolué avec les plantes locales, aux côtés de nombreux autres insectes pollinisateurs. Ce sont ces insectes qui contribuent à soutenir nos écosystèmes, voilà pourquoi leur déclin alarme les scientifiques.
Cet enjeu environnemental est donc bien plus vaste que celui de l'effondrement dans les colonies d’abeilles domestiques. Lors d'un café de discussion sur les enjeux de biodiversité à Montréal, organisé dans le cadre de Biopolis, une vitrine sur la biodiversité urbaine, le WWF-Canada s'est penché sur l’apiculture urbaine et ses impacts sur les espèces indigènes. Le compte-rendu de la discussion entre les scientifiques et les acteurs de la biodiversité présente très clairement la discintion entre les deux enjeux.
Des abeilles heureuses en ville
La multiplicité des plantes mellifères présentes en ville procure de bons milieux de vie aux abeilles. En effet, les écosystèmes urbains se caractérisent par une grande diversité de plantes mellifères telles l’agastache, le trèfle blanc, la monarde, le millepertuis, etc. Cultive ta ville précise que le miel montréalais contient des traces de plus de 25 espèces de plantes dont le framboisier, le cerisier de Pennsylvanie, le pommier, le trèfle, le tilleul, la vesce jargeau, la vigne vierge, ainsi que du pollen de nombreuses herbacées telles que le millepertuis et des linaires.
De plus, pour des raisons écologiques et sanitaires, l’utilisation de pesticides en milieu urbain est souvent inférieure à ce que l’on observe dans les zones agricoles. Puisque les villes s’engagent à utiliser moins d’herbicides et à brûler les mauvaises herbes au lieu de les traiter chimiquement, les écosystèmes urbains peuvent être plus sains pour les abeilles que certains écosystèmes agricoles où l’utilisation de pesticides est très répandue.
La compétition avec les autres pollinisateurs
Si les zones urbaines offrent des milieux hospitaliers aux abeilles à miel, elles le font tout autant pour l'ensemble des insectes pollinisateurs. Les ressources florales étant tout de même limitées, une pression pourrait s'exercer faisant entrer les abeilles domestiques en compétition avec les pollinisateurs installés bien avant elles. En termes de population, de quoi parle-t-on? Le nombre d'abeilles à miel introduites dépasse-t-il le seuil de l'équilibre?
Montréal est le premier pôle d'apiculture urbaine au Québec. Comme beaucoup de métropoles, la ville a connu un boom de l'apiculture urbaine cette dernière décennie. En 2011, on comptait 47 ruches et le nombre est passé à presque 700 aujourd'hui! Celles-ci sont situées sur l’ensemble du territoire de l’île de Montréal, portées par des citoyens, des groupes communautaires et des entreprises.
Cependant, les ruches ne sont pas réparties également sur l'île. En effet, l’arrondissement du Plateau Mont-Royal en concentre plus de la moitié. Ainsi, les abeilles domestiques entreraient en compétition avec les espèces indigènes, ce qui inquiète les écologistes.
Le biologiste Frédéric McCune, auteur d'une maîtrise sur l’impact de l’apiculture urbaine sur les abeilles sauvages à Montréal, invite à la prudence. Les résultats qu'il a obtenus n’ont pas démontré d’effet négatif sur les abeilles indigènes, pressentant une cohabitation possible. Mais lors de sa discussion dans le cadre du Café WWF, il soulignait que : « La densité de ruches était encore très faible à Montréal en 2012 et 2013. La réponse des abeilles sauvages dépend probablement de cette pression de compétition et de l’abondance des ressources florales. »
Nécessité d'un développement raisonné des ruches
Si on peut se réjouir du développement de l'apiculture urbaine, il faut tout de même considérer les enjeux importants. On l'a vu, la question de la compétition sur les ressources en pollen et en nectar se pose. La disponibilité de ces ressources doit suivre les besoins de toutes ces nouvelles arrivantes. Si le Mont-Royal et le Jardin Botanique représentent encore des mines d'or de plantes mellifères (les abeilles sont capables de voyager 6 km pour atteindre une zone de provision), certaines zones plus densément occupées offrent plus de béton et de petites zones de gazon que de parcs et jardins foisonnants. Des ruches installées dans ces quartiers ne seraient donc pas pérennes.
De plus, la propagation de maladies entre ruchers, les comportements agressifs, l'essaimage représentent autant de risques qui sont intensifiés en milieu urbain. Voilà pourquoi il est nécessaire de concerter l'établissement des ruches urbaines de façon progressive et coordonnée. Chacun doit veiller à ce que l'apiculture urbaine ne soit pas victime de son succès. Évaluer la densité de ruches par secteur: voilà l'une des nombreuses responsabilités des apiculteurs urbains.
L'élevage d'abeilles à Montréal: un projet passionnant et une responsabilité
L'apiculture urbaine est une pratique qu'il faut maîtriser. Elle exige un certain niveau de connaissances techniques, indispensables à la bonne conduite des ruchers. Formation, réglementation ou contrôle des maladies : le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) rappelle les éléments à considérer avant de se lancer.
À Montréal, la coopérative Miel Montréal est la référence en matière d'apiculture urbaine. Pour la coopérative, l'apiculture urbaine est une opportunité inouïe pour rapprocher la population urbaine à l'environnement naturel. L'apiculture urbaine est à la fois un outil éducatif, un moyen de valoriser la biodiversité urbaine et un vecteur de mobilisation collective pour un environnement sain.
Outre ses services complets d’installation et de gestion de ruches à l'intention des entreprises, organismes ou institutions, elle offre des informations et des outils nécessaires pour promouvoir la biodiversité, démystifier la pollinisation et favoriser l'apiculture responsable.
Son équipe passionnée, formée de biologistes, d'environnementalistes et d’entrepreneurs, fait vivre un réseau d’échanges autour de l’apiculture et de la préservation de la biodiversité à Montréal. Très polyvalente, l’équipe éducative propose plusieurs services pour différents publics, aussi bien les particuliers, les groupes scolaires, les entreprises et les organisations. Elle a également pour mission de travailler à la concertation entre les différents projets.
6 actions pour aider les abeilles en ville et les autres pollinisateurs
Paradoxalement, avoir des ruches en ville ne fait pas partie des actions pour aider les abeilles! Miel Montréal a dressé sa liste des 6 actions simples pour sauver (réellement) les pollinisateurs.
Manger bio
Le déclin des pollinisateurs et la disparition des abeilles sont tous deux causés par la généralisation des pesticides dans l'agriculture principalement. Consommer des aliments biologiques contribue à soutenir des modes de production alimentaire durables et favorables au maintien des populations d'insectes. Choisissez le miel 100% québécois produit par des apiculteurs passionnés!
Planter des fleurs mellifères
Par leur quantité et leur diversité, ces fleurs contribuent à nourrir tous les insectes avides de pollen et de nectar. Miel Montréal conseille de choisir différentes variétés de fleurs dont les floraisons chevauchent d'avril à octobre et de les planter en massifs pour créer un habitat d'hivernation pour les pollinisateurs indigènes.Quelques exemples de fleurs mellifères intéressantes: l'agastache, le trèfle blanc, la bourrache, la verge d'or et même le pissenlit. Une autre bonne raison de le laisser pousser dans le gazon écologique!
Dire non aux pesticides
Miel Montréal le souligne: depuis leur apparition en 1995, les néonicotinoïdes se retrouvent dans les fleurs. Comme ils sont solubles, ils se diffusent dans nos cours d'eau. Depuis, le taux de mortalité des abeilles est passé de 5% à 30%2.
Protéger l'habitat
Les menaces sur l'habitat des abeilles exercent aussi une pression sur leur survie: laisser des portions de terrain en friche, planter des arbres, des arbustes et des haies buissonnantes indigènes sont des actions qui contribuent à maintenir les populations.
Donner à boire aux abeilles
Les pollinisateurs boivent de l'eau et se nettoient dedans. Mais ils ont besoin de petites quantités, sans quoi la noyade est assurée. Installez des abreuvoirs pour les pollinisateurs dans votre jardin, ou même sur votre balcon.
Sensibiliser au sujet de l'apiculture en ville
Parler à votre entourage de la cause des abeilles est aussi une action porteuse!
Vous en savez maintenant plus sur l'élevage d'abeilles en ville et les impacts potentiels sur les autres pollinisateurs. Trouvez plus de pages sur la permaculture et la culture de légumes en ville ci-dessous et dans notre guide de la construction écologique.
Trouvez des professionnels et des produits ainsi que des projets de maisons écologiques exemplaires dans notre répertoire de l'habitation durable. |
1 Greenpeace- Abeilles en danger : un fléau aux causes multiples et aux conséquences catastrophiques
2 Équiterre- Plus de 200 scientifiques demandent d’agir mondialement contre les néonicotinoïdes
Bonjour,
Un moyen simple et rapide de planter des plantes mellifère est d'utiliser des balles de graines ou "seed balls". Ce sont des petites balles formées d'argile, de terre et de graines : c'est assez simple à fabriquer et cela vous permettra de faire pousser des fleurs mellifères dans des endroits où l'urbanisme a pris le pas sur la nature.
Très bonne journée à tous et merci pour vos articles Sébastien