Le béton est le matériau de construction le plus utilisé dans le monde, et son impact écologique est énorme : l’énergie grise du béton est de 1850 kWh/m3. En comparaison, celle du bois d’œuvre est de 180 kWh/m3. Cette empreinte est due en partie à la production de ciment, à l’efficacité des usines de production et aux matériaux utilisés. Dans cet article, il est plutôt question de remplacer les matières premières du béton (sable, granulats) par du béton recyclé.
Béton à contenu recyclé : la Suisse à l'avant-garde
Si on ne peut réduire la consommation de béton dans la construction, pour des questions techniques ou économiques, il faudrait au moins opter pour des choix plus verts, comme le fait Zurich. En 2002, la ville a inauguré son premier bâtiment public en béton recyclé, une école dont 80 % du béton utilisé était issu du réemploi. Des morceaux de béton provenant de la démolition et des gravats mixtes, contienant des briques, du carrelage ou du crépi en plus du béton composent la structure de cette école !
Convaincue des bénéfices de l'utilisation d'aggrégats recyclés, l'administration zurichoise pose en 2005 une exigence selon laquelle tous les bâtiments publics devaient être construits en intégrant au moins 25 % de béton recyclé. Depuis, certains bâtiments ont poussé plus loin.
Le musée d’art Kunsthaus Zurich, en cours d’agrandissement, utilisera 98 % de béton recyclé. Plusieurs complexes d’habitation utilisent ce matériau recyclé dans une proportion atteignant 95 %.
La voie au béton à contenu recyclé est ouverte au Québec pour la construction des bâtiments
L'utilisation d'aggrégats provenant de vieux ponts pour faire de nouvelles maisons fait de plus en plus d’adeptes autour du monde. Mais le Québec tarde à emboîter le pas. Selon Benjamin Zizi, évaluateur LEED, bien que la certification environnementale reconnue mondialement attribue des points pour l’utilisation d’agrégat recyclé depuis sa version V4, cette pratique ne se fait pas: « Personne ne prend du béton recyclé. Je n’ai jamais certifié de projet au Québec qui en avait utilisé ».
Pourtant, les avantages du béton à contenu recyclé sont nombreux : réduction de la consommation énergétique, réduction des coûts, détournement des déchets des sites d’enfouissement… À Zurich uniquement, cette approche a permis de détourner des sites d’enfouissement pas moins de 17 000 m3 de matériaux (et a permis d’économiser autant de matériaux vierges).
Un obstacle à une utilisation plus répandue du béton recyclé est le manque de demande, ou d’exigence. Certains architectes, planificateurs et ingénieurs ne sont pas encore convaincus, et pensent que cela demande plus d'efforts dans le processus de construction, ou qu’il y a des problèmes structurels possibles. De même, aucune réglementation n’exige l’utilisation de béton recyclé dans la construction des bâtiments au Québec.
Pour en savoir plus, nous avons contacté la Régie du bâtiment du Québec (RBQ), la Commission de la construction du Québec (CCQ) et l’Association Béton Québec (ABQ). Nul ne semblait avoir d’informations sur le sujet.
Nous avons finalement obtenu des réponses chez Recyc-Québec, auprès de Nicolas Bellerose, Agent de recherche et de planification : « Malheureusement, nous n’avons pas de données spécifiques ou de rapports sur le recyclage du béton, mais selon nos récentes informations, l’utilisation des résidus de béton qui passent par un centre de tri CRD est faite soit pour des infrastructures routières, des aménagements divers ou acheminés dans un lieu d’élimination pour différents usages (ex. infrastructure du lieu). L’utilisation dans le bâtiment serait pratiquement absente. Ceci dit, peut-être qu’elle se fait quand même pour des projets in situ, mais nous n’avons pas les moyens actuellement de le mesurer ».
Notre contact chez Recyc-Québec ajoute que les informations les ont également éveillés sur le phénomène d’accumulation de résidus de béton. Souvent, par manque de demande (ou d’exigence), les résidus de béton sont sortis de plusieurs sites de travaux pour être accumulés ailleurs. Encore une fois, la quantification de ce gisement est difficile, la traçabilité de toute cette matière est parfois difficile. « Cette problématique reste sur notre radar et nous tentons de trouver le moyen de faire recirculer davantage les résidus de béton. Nous travaillons actuellement avec le BNQ et d’autres partenaires à la révision de la norme sur les agrégats recyclés (BNQ 2560-600). Ces travaux devraient permettre de mieux comprendre la dynamique du secteur et stimuler l’usage de norme pour accroître la demande », conclut Nicolas Bellerose.
Au Québec, la production de ciment et de béton est contrôlée par les normes de l’Association canadienne de normalisation (CSA) et le Bureau de normalisation du Québec (BNQ). Elles forment la base du Code national du bâtiment du Canada (CNBC) et des codes provinciaux du bâtiment.
Écohabitation aimerait que les exigences viennent du municipal, comme c’est le cas à Zurich. En attendant, la flambée des coûts du ciment et du béton pourrait changer la donne.
Le béton, de plus en plus dispendieux
Au cours des derniers mois, l’industrie de la construction a vu le prix des matériaux exploser, du fait de l’augmentation de la demande. Le béton ne fait pas exception. Un béton préparé en 2021 revient à environ 250 $ le m3, alors qu’il était de 215 $ il y a deux ans. Pour Emmanuel Cosgrove, directeur d’Écohabitation, « la hausse des coûts de béton ne ralentira pas. Ce sera peut-être l’occasion de vraiment limiter son utilisation, de construire mieux, avec du bois, ou encore de se tourner vers du béton recyclé, comme l'a fait Zurich ».
Pour le moment, cela se traduit aussi par des problèmes d’approvisionnement. Selon une étude réalisée par l’APCHQ avec la firme Léger en janvier 2021* : « depuis mars 2020, un peu plus de quatre entrepreneurs sur cinq ont fait face à des problèmes d’approvisionnement tels que des délais de livraison, des délais de transport sur les chantiers, des ruptures de stock chez le fournisseur ou un faible niveau d’inventaire local. »
Et les plus touchés ? Les petits chantiers de construction. Alors promoteurs et constructeurs, sautez sur l’occasion de réduire vos coûts de construction, de même que vos coûts écologiques : réduisez votre utilisation de béton, optez pour du bois et une dalle sur sol, et pour le béton restant, tentez de relever le défi du béton recyclé.
* https://www.operationsforestieres.ca/prix-des-materiaux-de-construction-les-conditions-sont-reunies-pour-que-la-situation-persiste/
Comment utiliser du béton recyclé dans vos projets de construction au Québec
Pour l’instant, si vous voulez utiliser du béton écologique dans vos projets, ce n’est pas chose facile. Il faudra contacter à l’avance les producteurs de béton, les représentants des cimentiers ou autres entreprises de construction de votre région, de même que votre entrepreneur, qui devrait pouvoir vous conseiller en fonction de votre projet : quels types de béton utiliser? Quelles proportions d’ajouts cimentaires considérer? Quels adjuvants utiliser? Mais tous ne sont pas familiers avec ces subtilités, et la faible disponibilité fait en sorte que les chances de mettre en place un projet contenant une grande part de béton recyclé relèvera d’un travail herculéen.
Selon la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles, la province recycle ou revalorise pas moins de 80 % des résidus de béton. Il pourrait s’agir d’une belle opportunité pour faciliter la mise en place du béton à contenu recyclé ! Car une fois concassé, le béton peut servir à la construction de nouvelles infrastructures, mais il reste dur de le valoriser en totalité en ce moment, les donneurs d'ouvrage étant réticents à utiliser du béton recyclé. Faute de réglementation, ils préfèrent encore utiliser de la matière première vierge.
En attendant de pouvoir construire avec du béton provenant d'aggrégats recyclés, vous pouvez approfondir votre connaissance des enjeux environnementaux et ses utilisations possibles avec notre fiche complète sur le béton, et utiliser du béton ternaire, aussi appelé à contenu recyclé, dans lequel le ciment est remplacé par des ajouts cimentaires. Regardez du côté du béton d’argile, du béton préfabriqué durci au CO2, des ajouts cimentaires québécois en verre recyclé, des densificateurs pour béton.
Aussi, voici plusieurs options possibles pour réduire les coûts de construction, de minimiser l'impact environnemental, ou de faire les deux : construire nos bâtiments en bois plutôt qu’en béton ; limiter l’utilisation de béton, notamment en préférant la dalle sur sol que le sous-sol ; opter pour une structure en bois plutôt qu’en béton ou en acier ; opter pour des blocs de béton sans ciment...
Sources
- How Zurich Blazed a Trail for Recycled Concrete, par Corinne Gretler, paru dans Bloomberg, septembre 2021
- Pierre Corbeil se dit préoccupé par la hausse du prix des matériaux de construction, par Marc-André Landry, paru sur ICI Abitibi-Témiscamingue en avril 2021
- Le vrai coût des matériaux de construction, par Marie-Hélène Fugère, paru dans LeDevoir en août 2021
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